L’article suivant est tiré du blog : http://green-martha.blogspot.
Le premier novembre, j’étais de passage express à Paris pour la dixième édition des GNiales, convention internationale autour du jeu de rôle grandeur nature (aka GN). J’y étais pour une conférence d’une heure et demie, pour parler de costumes historiques à des GNistes aux yeux, oreilles et carnets de notes grands ouverts. L’objectif de la conférence était de faciliter l’abord du costume historique par un public qui a un besoin souvent ponctuel d’un tel costume, le grandeur-nature à thème historique ayant dernièrement les faveurs des foules. Pas de cours d’histoire de la Mode en accéléré mais plutôt un concentré de conseils pour effectuer les recherches, de références, et de petits trucs.
Du coup, et si je vous en faisais profiter aussi ? (et ça permettra à mon public de récupérer les références dont j’avais parsemé le PDF)
Donc toi à, au deuxième rang, tu veux te lancer dans le costume histo…
Ou en faire un pour le plaisir, ou pour un jeu, ou bref voila, tu as l’envie mais tu ne sais pas trop par où commencer.
Ton but n’est pas de te lancer là, tout de suite, maintenant, dans une reconstitution minutieuse, mais bon, entre toi et moi, faire un peu de recherches préalables n’a jamais tué personne, et ça permet de commencer les costumes historiques par quelque chose qui soit au moins “histo-plausible” (expression copyrightée moi-à-3h-du-mat). Les anglophones évoquent parfois la “règle des 3m” (ten-foot-rule) : à 3m de distance, le costume passerait dans son contexte historique original.
La recherche c’est swag
Je ne dis pas ça parce que personnellement, la recherche ça me botte, mais oui, la recherche c’est bien, c’est nécessaire. Tu apprends à conduire avant de prendre le volant pour un Paris-Nice en solitaire dans ta première voiture, hein ? Ben pareil. On se renseigne sur les bases avant, pour ne pas se retrouver avec un gros problème à régler après (du type : mais comment insérer une fermeture éclair au dos d’une robe à la française ?). Donc toi, petit padawan, tu prends le temps de t’éduquer l’œil et de rassembler des images de l’époque qui t’intéresse. Et tu prends quelques notes.
- À quoi ressemble la forme du corps idéale pour la période ?
Première question à se poser pour avoir la bonne silhouette : où c’est qu’on rembourre, où c’est qu’on réduit ou qu’on camoufle, où sont les coutures, les ourlets, la taille… ? On a souvent l’impression que la silhouette moderne est naturelle – jusqu’à ce qu’on réfléchisse soutien-gorges, régimes, et salles de sports. Chaque époque à son image d’à quoi le corps, féminin ou masculin devrait ressembler, qui transparaît dans le vêtement.
- On porte quoi exactement ?
Combien de pièces, un haut et un bas séparés ou un seul vêtement, avec quels dessous, quels supports pour modifier ou contraindre la silhouette, quels accessoires… ?
- Les détails typiques
On profite de brasser des images pour regarder les couleurs, les motifs qui reviennent, observer les matières et les décorations.
Les sources primaires c’est le bien
Ah oui, tant qu’à se faire un petit stock de références, autant commencer par les données brutes : vêtements conservés et images d’époque : portraits, gravures, images de mode, photographies… Parce que les images de films c’est super joli mais c’est du remix historique avec une grosse dose de narration mélangée, parce que dans un film, le costume fait toujours partie de la description du personnage (et dans un GN aussi, d’ailleurs). Donc tu vas chercher ta source primaire,
- dans les musées, collections d’art ou de costumes. Parmi mes préférés , Les Arts Décoratifs qui a une chouette frise chronologique, le MET Museum qui a une base de données de vêtements fantastiquement complète (même si il faut de la patience pour chercher ce qu’on veut – chercher dans la Brooklyn Museum Costume Collection et le Costume Institute), le tout aussi incontournable Kyoto Costume Institute (KCI à qui nous devons le Fashion, le gros pavé de photos de costumes édité par Taschen), la fantastique bibliothèque en ligne de la Bunka Gakuen Digital Library pour les gravures de mode. Penser aussi aux sites d’enchères qui ont parfois des ventes spécialisées sur les vêtements anciens, par exemple Whitakerauction qui a de très bonnes photos consultables en ligne. Je rajoute Gallica que je n’avais pas mentionné lors de la conférence parce que je n’ai pas les nerfs d’y chercher l’encyclopédie de Diderot et les archives de magazines de mode (mais en théorie y en a plein).
- tu jettes un œil aussi aux catalogues d’expos desdits musées (hint : le MET met certains des siens à disposition en PDF sur son site) et aux livres d’art de la période. Tant que tu es dans une bibliothèque (mettons que tu es chanceux et parisien et que tu es à la bibliothèque Forney), tu peux repérer aussi les bouquins plus techniques sur le costume et son Histoire comme le sus-mentionné Fashion et le Costume in Detail de Nancy Bradfield.
- si la flemme est avec toi et que tu aimes qu’on aie fait le travail de collecte des sources pour toi, tu demandes à Google (si tu n’as pas peur de la photo de cosplay et du costume folkorique russe au milieu de ta recherche “costume XVIIIème”) voire directement à Pinterest, où un humain a déjà fait le tri pour toi. Spéciale dédicace du travail bien partagé à :
- Cassidy – super complet, classé par décennie
- Costumière Hystérique – très riche, classement plutôt par objet surtout pour le XVIIIme, différenciation entre le populaire et le prout-prout
- Jennifer Thompson – beaucoup de classement par objet aussi
- Bess Chilver -une référence pour tout ce qui est de la Renaissance anglaise
- Ginger Scene in the Past – surtout pour la période crinoline
On garde un regard critique
Parce qu’aucune source n’est parfaitement neutre et objective.
Les vêtements exposés dans les musées sont majoritairement des vêtements avec une valeur monétaire et/ou sentimentale, attachés à des grands de ce monde, à même de faire pousser des petits cris orgasmiques au public lambda (sérieux, combien de robes Dior pour une expo intitulée “Les années 50” ? Contre combien portées au quotidien ?*. Le vêtement populaire ? Tout de suite y a plus personne, ou presque.
Ajoute à cela que la présentation sur le mannequin n’est pas toujours la même que celle sur le corps d’origine (vous, là, les robes en 48 mannequinnées sur du 36, je pense à vous !), que le vêtement a pu changer (de couleur notamment, les teintures ne tiennent pas toutes très bien dans le temps), ou être modifié.
Quand on se fait tirer le portrait, on se met sur son 31, donc les portraits sur toile ou photographiques sont souvent des portraits où l’on se met en scène sous son meilleur jour – ou parfois carrément des mises en scène totales, costumes allégoriques, tenues de bergère, déguisements… Pas réellement différent de maintenant.
Tout comme l’écart entre la gravure de mode et la rue existe encore aujourd’hui, donc autant garder en tête que le magazine de mode présente la dernière mode, les vêtements les plus chwananas, et que Madame Péquin mettra sans doute quelque chose de plus sobre pour faire son marché.
D’ailleurs tiens, tant qu’on y est, pense à réfléchir à qui va porter ton costume et quand. Tu veux du costume de pécore ou d’archi-duchesse ? Pour rester chez toi à bouquiner, pour aller réclamer une augmentation à Madame ou Monsieur Patron ou pour un rencard à l’opéra avec Bibi ? Sans aller jusqu’à dire que l’on changeait 12 fois de tenue par jour “à l’époque” (d’ailleurs, le “à l’époque” est un terme qui m’énerve quand on s’en sert pour désigner vaguement une période historique passée dont on n’a qu’une idée vague. Mort aux généralités), il y a des bases logiques : on met du vêtement solide pour le travail domestique, plus soigné pour sortir, plus “sexy” (selon les normes en vigueur) en soirée, etc… Le vêtement s’adapte, au milieu social du porteur, à son activité, à sa silhouette et à ses goûts personnels, “à l’époque” comme maintenant.
Et je le fais comment mon costume ?
- Déjà tu choisis tes matériaux – si tu ne veux pas te lancer dans de la repro dans les vrais tissus, essaie au moins de chercher quelque chose d’aspect proche. On trouve des synthétiques et des mélanges très corrects, il faut juste ne pas hésiter à les contrôler au toucher, vérifier qu’ils ont le bon tombé et vérifier sous lumière naturelle et aussi en photo au flash (le flash, ça pardonne pas sur les matières trop plastiques).
- J’ai quand même une grosse préférence pour le lin et le coton au contact de la peau, ça absorbe la transpiration et ça évite les surchauffes, surtout sous un corset. Vise plutôt un tissu fin, le drap de grand-mère c’est bien, jusqu’à ce que tu doives porter quatre jupons superposés en drap de grand-mère. Là, tout de suite, tu rigoleras moins.
- En choisissant ton tissu, garde en tête ce qui se faisait sur la période visée en matière de couleurs (les teintes naturelles y en a plein, mais certaines teintures particulièrement flash n’arrivent qu’avec les teintures chimiques au XIXème) et de motifs – on trouve aussi en ligne des photos de carnets d’échantillons, super pratiques comme référence. Pour le XVIIIème (années 1780) il y a aussi le fac-similé de la Gazette des Atours de Marie-Antoinette, si tu vises un milieu social élevé pour ton costume.
- Pour les décorations, méfie-toi de la section passementerie de ton vendeur moderne. Attention aux dentelles trop grossières et raides, au doré plastique… On utilise souvent trop peu en costume historique les décorations de même tissu ou de même teinte avec une texture différente (passepoil, plis, nœuds, biais, applications…). J’en profite pour renvoyer au livre d’Astrida Schaeffer, Embellishments, orienté victorien mais qui donne de bonnes bases techniques pour un grand débutant.
Le corset…
… a droit à son paragraphe à lui. en résumé, un corset n’est pas là pour te faire une taille de guêpe, il est là pour tenir la poitrine, donner la silhouette de l’époque visée et répartir le poids des jupons. Porter deux ou trois jupons + un faux-cul ou autre crinoline + la jupe + les poches +…, sans corset, c’est horriblement douloureux. Le corset a sa raison d’être, porte-le. Porte-le avant pour être sûre d’être bien dedans et pour le mouler à ta morphologie. Ne le serre pas comme une brute parce que ça n’est. Pas. Le. But.
Commence toujours ton costume par les dessous, sinon ta silhouette sera fausse et tu risques de te retrouver avec des plis disgracieux si tu les ajoutes après-coup.
Le patron
Je ne suis pas une fille à patron. Le patron, c’est souvent pas très bon (évitez le “histo” des grandes marques de patrons qui visent avant tout le déguisement d’Halloween), c’est parfois cher – quand il faut faire venir d’Outre-Atlantique un patron d’une petite boîte spécialisée (qui sont souvent par contre de bien meilleure qualité, documentés et historiquement justes). Je préfère avoir un patron de base et le modifier selon mes besoins. Patron de base ajusté sur le corset ad hoc, évidemment.
Quitte à s’aider pour cela de tout un bataillon de références :
- livres (d’aujourd’hui) contenant de patronage histo : les livres de Jean Hunisett, la série de Tudor Tailor, le Victorian Tailor pour ces messieurs, on le généraliste Creating Historical Clothes (sorti assez récemment , je ne l’ai pas encore trop utilisé)
- livres de patrons relevés sur des costumes anciens, avec les livres de Janet Arnold ou les deux ouvrages édités par le Victoria&Albert Museum sur les vêtements du XVIIème siècle.
- les patrons de journaux de mode d’époque, trouvables notamment dans la collection des DeGracieuse, journal néerlandais. Je vous renvoie à mon post sur le sujet.
Et pour finir…
… quelques recommandations de dernière minute :
- tu fais une ou des toiles, jusqu’à ce que ça soit bien ajusté,
- tu oublies la doublure “bag-lining” moderne, et tu doubles tes pièces une par une. c’est plus facile à modifier et plus histo.
- tu joues sur les baleines, les rembourrage,s les triplures, pour obtenir la bonne forme et le bon tombé,
- tu oses coudre à la main, et même avoir quelques petits points visibles (c’est histo !)
- tu ne négliges pas les accessoires qui habillent une tenue et te facilitent la vie, les coiffes et couvre-chefs qui camouflent ta coupe moderne (et sont histo !), les poches grand format, les guimpes et gilets qui te changent une tenue à moindre coût,
- tu ranges cette fermeture éclair qui de toute façon est une tannée à installer et tu utilises les moyens utilisés à l’époque que tu recherches : laçages, boutons, épingles (ça tient très bien, je t’assure !), crochets puis même pressions,
Et surtout, surtout, tu t’amuses et tu n’oublies pas que les costume histo, c’est avant tout un vêtement dans lequel des gens ont vécu, tous les jours, et que tu devrais te sentir bien dans ton costume !
*non, je ne vise pers… bon ok, je ne suis pas sortie emballée du Palais Galliéra, voilà, c’est dit.
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