“Shadow Island : ce jeu de rôle Grandeur Nature est le jeu qui contient les solutions aux écueils principaux de la plupart des jeux fantastiques”
Je n’ai pas eu à chercher longtemps ce que j’allais dire sur Shadow Island : ce jeu de rôle Grandeur Nature est le jeu qui contient les solutions aux écueils principaux de la plupart des jeux fantastiques et des murder-party. J’aurais pu appeler cet article : 10 idées qui ont transformé un bon GN en GN formidable ou un autre truc du genre. Je trouverai bien avant de publier.
C’est le 11 janvier que j’ai eu la chance de jouer le dernier né de Beus l’auteur de Good Vibrations, Le match du siècle, Beverly Place 2 (avec Guillaume Montiage) ou La pension Saint Sauveur (avec Raphaël Granier de Cassagnac).
Shadow island sera bientôt disponible en ligne et j’encourage tout le monde à jouer cette murder-party. Le jeu est facile à organiser et accessible.
Un jeu classique
Le pitch de Shadow Island annonce un GN “L’appel de Cthulhu”, ce qui n’est pas ma came au départ. Je n’affectionne que modérément les univers imaginaires du jeu de rôle sur table, souvent prétexte en GN à créer des jeux fourre-tout, en piochant des idées en masse dans des univers ultra-riches. Pourtant je me suis inscrit à ce jeu, parce que j’avais confiance en l’auteur pour proposer quelque chose qui reste simple et qui évite les écueils habituels du fantastique. Voici une courte présentation du jeu que j’ai rédigé de mémoire, vous pouvez trouver un texte d’ambiance plus long sur http://shadowisland.jimdo.com :
« Au large d’Innsmouth en 1927, la famille Morton se réunit comme chaque année sur Shadow Island. Cette réunion est en vérité la commémoration de la mort du père. Cette année, William Morton, le fils perdu de vue, est de retour au sein de la famille. Cette soirée sera le théâtre de révélations inquiétantes. »
L’auteur présente son jeu comme un jeu classique, avec un scénario simple et efficace et ce sera le cas. Ce scénario de l’Appel de Cthulhu ne cherche pas à être révolutionnaire. La particularité est que c’est une famille aux liens très forts qui va se retrouver plongée dans l’horreur.
Un jeu moderne
Shadow Island utilise du fantastique, mais n’en ajoute pas des couches pour chaque personnage. Tous les personnages sont impliqués dans la même histoire et le fantastique apparaît sous une forme unique et pour une raison unique. L’histoire est unique et le scénario ne fait pas s’entrecroiser 10 destins différents et parallèles. Les enjeux et les intrigues ne se polluent pas les unes les autres.
Tous les personnages ont une raison d’être présents. Voici un conseil que vous avez forcément déjà entendu et qui est trop souvent mal compris. Chaque personnage n’a pas une raison différente d’être présent. Ils font tous partie de la même famille et leur place est ici. Les fiches de personnage, sur lesquelles je reviendrai, expliquent à chacun sa position au sein de la famille. Mais les personnages ne sont pas tous embarqués dans une histoire en marge de celle des autres.
Shadow Island ne contient pas de coïncidences. Le fantastique n’est pas une porte ouverte vers le n’importe quoi. Certes, il existe des éléments du Mythe, mais tout le reste est plausible et vous ne trouverez pas dans Shadow Island de réactions invraisemblables ou d’histoire ayant pour base une coïncidence énorme.
Est-ce que le jeu était plus difficile à écrire pour autant ? Non, je ne crois pas. En fait, je suis convaincu que c’était plus simple !
Ne pas tordre l’histoire pour trouver à chaque personnage une série d’objectifs. Ne pas s’entêter à respecter la règle (que je trouve très très mauvaise) du « mieux vaut trop que pas assez » a libéré du temps à l’auteur pour se consacrer au reste. Qu’est-ce que le reste ? Je vous invite à le passer en revue tout de suite.
Un jeu familial
L’histoire est donc simple. Les joueurs ne s’y perdent pas. Le mystère est bien là, mais les réponses arrivent doucement, sont assimilées par tous, puis conduisent à des conclusions, des révélations, du drame. Et enfin, vient l’heure des choix, parfois des déchirements et d’une conclusion évidente au jeu, efficace. L’auteur n’a pas à noyer les joueurs d’indices. On est dans un scénario du Mythe et on peut comprendre ce qui se passe. Les questions sont posées par les personnages et non par les joueurs. Personne n’a besoin d’arrêter de tenir son roleplay pour prendre un papier et un crayon et essayer d’expliquer aux autres joueurs ce qu’il croit avoir compris.
Les joueurs peuvent appliquer les consignes reçues avant le jeu sans se déconcentrer. Le silence pesant à table lors d’un repas angoissant et lourd, le respect des aînés et surtout de la mère. Autant d’efforts de roleplay qui sont si difficiles à tenir lorsque le scénario part dans tous les sens.
« Rien n’est jamais noir, rien n’est jamais blanc, tout est contrasté par le passé, les souvenirs et l’enfance »
La phrase ci-dessus est extraite de la lettre d’intention de l’auteur et m’a marqué. Elle résume parfaitement ce qui fait que les rapports entre gens d’une même famille sont différents de ceux qui lient les personnages d’un GN habituellement. Ici, un problème mérite souvent d’être discuté par tous. Si on fait des secrets, c’est bien plus souvent parce qu’on a peur de blesser l’autre que par défiance. Si on soupçonne son frère, c’est lui qu’on vient voir en premier pour en parler. Les colères sont plus diffuses, le pardon est toujours possible. Et pourtant la famille Morton n’est pas une famille expansive. Plutôt avare en gages d’affections, les Morton vont devoir se souder face à leurs problèmes.
Les scènes de groupes de ce jeu sont une merveille. L’écoute entre les personnages, l’absence de messe-basses et de réunions secrètes dans chaque pièce de la maison est un truc à vivre une fois.
Je remercie les joueurs de ma session, qui l’avaient si bien compris.
Les personnages se connaissent depuis l’enfance. Et pour faciliter la prise en main, les fiches sont longues. Une vingtaine de pages consacrée au personnage. Elles sont bien écrites et ne partent pas dans tous les sens. Les fiches sont suivies de une à deux pages sur chacun des autres personnages pour clarifier la nature de la relation entretenue avec lui. Mais pour faciliter encore le jeu, l’auteur a eu la bonne idée de préparer quelques ateliers pré-GN essentiellement sur le jeu familial.
Les ateliers
Un article précédent avait été consacré aux ateliers du jeu, aussi, je vais me contenter de mettre un lien vers celui-ci : http://www.electro-gn.com/6296-les-ateliers-pre-gn-de-shadow-island
Je pense que la fluidité des ateliers est améliorable mais dans l’ensemble, ils furent d’une grande aide pour les joueurs. L’atelier sur les souvenirs communs étant définitivement un must à réutiliser sur presque tous les jeux et celui de l’observation étant très bien pensé. (Il consiste à passer une minute à observer un joueur en train d’incarner l’un des personnages qui est « différent » et dont le comportement au quotidien est un peu dérangeant).
Du fantastique léger mais des personnages concernés
Pour 50 autres jeux, j’aurais pu écrire « Du fantastique lourd et des personnages blasés ». C’est en résumé ce qui fait la force de Shadow Island. En proposant des personnages crédibles, des relations fortes, sans être surchargées et un contexte plausible, l’horreur fantastique devient un formidable prétexte à jouer. Non pas à courir après le scénario, non pas à chercher des indices, mais à jouer ensemble. Pour résumer, je pense que ceux qui recherchent une enquête complexe, du challenge ludique devraient passer leur chemin. Shadow Island est en fait un GN Lovecraftien et non pas un scénario type de l’appel de Cthulhu. L’auteur est un artisan du récit d’horreur psychologique et il a compris que les joueurs devraient eux aussi mettre la main à la pâte pour que cela fonctionne.
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27 janvier 2014 at 12 h 32 min
Merci pour cet article sympathique !
Deux bémols :
– il y a UNE coïncidence importante dans le jeu. Mais en parler serait spoiler 🙂
Avec l’aide d’un joueur de la première session, on a essayé de lui tordre le cou mais
cela demandait trop de boulot alors je l’ai laissée.
J’ai hésité à me faire hara-kiri.
– ta session a bénéficié des sessions précédentes où j’ai discuté avec les joueurs qui pour certains trouvaient que le fantastique “arrivait trop tôt” dans le scénar
J’ai réajusté quelques trucs et ai insisté au briefing des leaders de la famille
sur le fait que les problèmes se réglaient collectivement
Je crois être un peu près arrivé à ce que je souhaitais faire
En espérant que cela plaise aux joueurs
Pour la mise en ligne, c’est beaucoup de boulot pas excitant. Donc il m’est difficile de donner un délai. Mais sauf big bang, elle verra le jour dans un futur plus ou moins proche.
27 janvier 2014 at 18 h 54 min
Le Beus au sommet de son art ?
28 janvier 2014 at 16 h 02 min
Mais, mais ? J’ai peut être mal lu mais je ne vois pas 10 astuces pour bluffer les joueurs dans le texte mais trois : “pas de coïncidences exceptionnelles” (Enfin presque ^^ ) , “faire en sorte que tout les personnages soient liés” et “faire des workgroup”
La première à trait à la question plus générale de la suspension volontaire d’incrédulité (willing suspension of believe).
A noter qu’il est cependant possible d’avoir des justification en jeu desdites coïncidence et que certain genres sont friands de coïncidences extraordinaires (comme les histoires de cape et d’épée ou de space opera)
La seconde astuce parle d’une construction scénaristique (Une famille) créant des connections entre les personnages. L’usage de la famille comme lien est une des solution les plus simple à mettre en place et les plus efficace. Elle est d’ailleur exploitée dans une bonne partie des murder.
20 pages par perso, c’est du costaud, chapeau si l’orga a réussi à rendre cela digeste pour tout le monde.
Avec cette review, j’ai du mal de voir la force du gn, le texte me décrit une murder poulpesque classique avec des back très construits et bien écrits mais ne me dit finalement pas ce qui fait la différence,ce qui bluffe les joueurs.
28 janvier 2014 at 17 h 05 min
“Shadow Island : un jeu, qu’il est bien”, c’est moins vendeur 😛
28 janvier 2014 at 22 h 21 min
La force de ce GN, pour moi, outre ses qualités “classiques”, c’est le parti-pris de l’auteur lié aux moyens qu’il s’est donné pour y faire adhérer ses joueurs. Du coup, on a vraiment une cohérence bluffante, on ressent profondément ce qu’a voulu donner l’auteur, et on s’y laisse aller avec plaisir.
Et pour ce qui fait LA différence, c’est que ça donne un GN Lovecraftien, et non Cthulhu comme l’écrivait Baptiste. Malheureusement impossible d’expliquer plus avant sans risquer de spoil, donc il faut lire entre les lignes… 🙂
29 janvier 2014 at 6 h 35 min
Ce que je trouve bien dans ce jeu en plus, ce sont les nombreux verrous qui sous tendent les relations entre les personnages et empêchent les révélations trop violentes et/ou rapides qui dénatureraient l’ambiance et casseraient la dynamique du jeu, ces verrous sont très bien équilibrés et habiles, et permettent de bien doser les progressions des personnages. En tant que joueur, j’ai beaucoup apprécier voir clairement où était les verrous qui gênait mon perso dans ses relations aux autres afin de pouvoir en jouer et de doser leur déverrouillage (ou parfois leur crochetages ou contournements). Le contexte familial est effectivement très pratique pour tout cela.
2 juin 2014 at 9 h 20 min
Le jeu est en ligne
http://www.murder-party.org/sc%C3%A9narioth%C3%A8que/tout-public/shadow-island/
2 juin 2014 at 21 h 59 min
Bravo Beus pour cet effort de formalisation !
23 juillet 2014 at 15 h 41 min
Bravo et merci Beus pour cet excellent jeu! (par contre j’ai sans doute pas été aussi bon que Joris pour déceler et déverouiller les différents verrous! ^^)