Critique : Espresso Connection, une chronique italo-américaine
Association : Urbicande Libérée
Organisateurs : Bertrand H., Gaël R., Jean-Marc G., Jean-Yves O., Maroussia P., Charlotte D.
Auteurs des GNs Cycle de la Biche et Truman show, les organisateurs d’Urbicande Libérée mettent la seconde et placent la barre très haut avec leur nouvelle création : Espresso Connection. Première audace : un thème rarement abordé en GN. Ici point de robe victorienne ou d’épée boudin, Urbi prend le risque d’organiser un jeu dans une ambiance familiale mafieuse. Et loin des années 30 déjà traitées, ils se placent dans les années 80, dans l’ambiance du Parrain de Coppola. Sur le papier, le pitch ne fait pas ou peu rêver. Faiblesse commune des sujets inexploités, le joueur n’a qu’une idée vague de ce qui l’attend. (Heureusement, ils comblent le manque par une preview sur Electro-GN qui en dit plus sur leurs motivations)
Pitch : 1988, Pennsylvanie. Don Angelo organise l’anniversaire de Mary, sa fille chérie, dans sa maison de campagne familiale. On le dit malade et très affecté par la mort tragique de ses deux fils. Sa famille, ses amis et proches collaborateurs seront tous fidèles au rendez-vous pour fêter l’événement et soutenir celui qui est à leurs yeux le « Parrain » du clan.
Le GN fourmille de bonnes idées dont la première n’est pas des moindres : situer le jeu dans une ambiance « famille ». Ça paraît, a priori, moins dépaysant que d’incarner la reine de l’empire Xénator et pourtant, ce contexte propose des ressorts peut-être un peu sous-estimés en GN.
Premièrement, dans un GN famille (j’entends ici famille étendue, en l’occurrence le clan sur ce jeu), le joueur n’est jamais seul car de fait, il connaît presque tout le monde. Et même s’il n’y aucune information dans la fiche sur le cousin Gérard, il n’est pas difficile pour le joueur de se faire une idée rapide de leurs éventuelles relations, fondées sur ses propres expériences « dans la vie ». Les rapports familiaux sont à la portée de tout le monde. Chacun peut imaginer sans peine la trahison d’un frère, l’amour d’une femme, la perte d’un proche. Et en jeu, ça se ressent ! Les joueurs sont plus vrais que natures. Pour ma part, j’ai pleuré comme une madeleine pendant deux heures, très sincèrement.
Par ailleurs, les rapports familiaux complexifient la donne en jeu. Ma belle-sœur m’a fait un coup de vache, vais-je vraiment la liquider ? Ou plutôt la marier pour m’en débarrasser ? Dans un GN famille, on est forcément plus enclin à pardonner : « oui, c’est sûr, tu viens de faire la boulette du siècle et tous les cousins sont en taule mais bon, je ne vais pas te loger une balle dans la tête, après tout, tu es mon fils ». Le perso se tourmente, tergiverse, échange, réfléchit, hésite et le tout donne énormément de jeu.
Notons la présence également de personnes non-affiliées sur le jeu, c’est-à-dire extérieures à la famille devant lesquelles il est évidemment impossible de parler librement et d’évoquer les « affaires ». Leur présence pousse les joueurs à bien peser leurs mots et produit des situations assez inattendues. Évidemment, le risque est grand pour les joueurs de personnages « non-affiliés » de s’ennuyer et de se sentir hors du coup. Je serais curieuse de connaître leur ressenti et les invite à en parler dans les commentaires.
Mais poursuivons ! Dans un GN famille, il n’est pas nécessaire d’avoir un calendrier complexe d’événementiels. En effet, en famille, un Noël réussi n’implique pas forcément une ouverture puis fermeture de porte du chaos. En GN, c’est pareil. Sur l’Espresso, pas de débarquement de zombies au programme mais plutôt des animations à l’initiative des joueurs (indiquées dans leur fiche), qui ponctuent agréablement le week-end.
Une des difficultés d’un format en huis clos est la gestion du monde extérieur. Dans le cadre d’un GN mafia, il est indispensable de créer des connexions avec le reste du monde : autres membres du clan, petites frappes, puissants corrompus, police… Les orgas ont ici mis au point un système téléphonique exceptionnel, celui dont on a toujours rêvé en GN. Sans dévoiler les ficelles de l’affaire, vous téléphonez vraiment et tombez sur un nombre surprenant d’interlocuteurs différents. Ce dernier point m’amène à parler des PNJ, plutôt nombreux compte tenu du format. Les joueurs ont été confrontés à des PNJ hauts en couleur, particulièrement doués, qui ont su poser une ambiance. Les PNJ infiltrés, franchement indétectables, ont su trouver le juste équilibre dans leur rôle afin d’encourager les joueurs à prendre des initiatives tout en ayant l’air de dispenser de bons conseils. La confrontation habituelle PJ/PNJ qui bloque parfois les relations était ici inexistante. Le jeu avec eux était fluide et on oubliait facilement leur « statut ».
Point important également : les joueurs ont reçu une fiche de perso de qualité, en ligne, avec une page Internet dédiée par perso qui nous plongeait déjà dans l’ambiance. C’est toujours assez risqué de faire des fiches de ce type car si le jeu n’est pas à la hauteur – ce qui arrive, nous en conviendrons tous – la déception n’en est que plus grande. Le fond des fiches est plus classique mais fournit des tas d’éléments en plus des intrigues principales qui paraissent parasites à la lecture, du type l’opinion des persos sur tel et tel réalisateur de cinéma. En réalité, ces éléments ont créé des discussions houleuses et intéressantes en jeu. Bonne idée donc.
La gestion des objectifs
Ce que j’ai particulièrement apprécié dans l’Espresso, c’est la gestion des objectifs, toujours délicate en GN. Il est excessivement rare de découvrir ses objectifs en cours de jeu, comme cela a été noté et discuté lors des GNiales de cette année. La spécificité du GN impose trop souvent au personnage de vivre le meilleur de son histoire… dans sa fiche.
Mes objectifs en début de jeu étaient flous : recevoir mes invités, protéger la famille, réfléchir à la succession. Exactement comme quand vous vous rendez à un dîner de famille. Vous n’y allez pas avec, dans votre valise, deux-trois objectifs à remplir durant votre week-end.
Les objectifs pour ma part ont émergé en jeu. La personnalité de mon personnage était assez précise pour déterminer des orientations mais en aucun cas pour brimer mes choix. Je pense que nombre de joueurs se sont également retrouvés dans cette situation et ont créé leur histoire au fur et à mesure.
Je n’ai pour ma part eu aucun objectif parasite (vous savez l’objectif « on a besoin d’un cinquième larron pour faire un rituel, tu viens ? » ou le désormais célèbre « tu dois rendre ses clés à Gérard »). Tout allait dans le même sens. Et la résolution finale se construisait au fur et à mesure des décisions prises pour tel et tel problème. Car croyez-moi, il y en avait des soucis ! Une brave famille italienne mafieuse ne connaît hélas pas de repos. Le joueur peut choisir de se laisser porter, mais dans une famille mafieuse, ne rien faire vous conduit a) au cimetière b) en taule. C’est vite vu.
J’ai conscience que ce papier s’apparente davantage à un éloge qu’à une critique mais que voulez-vous, je préfère laisser les épines de côté quand la rose est si belle.
Merci Urbi !
Fred
http://www.urbicande.fr/mafia/renseignements.html
3 sessions :
15 et 16 mai 2010. 22 et 23 Octobre et 29 et 30 octobre
Lieu : Gite du Prieuré d’Authie dans la Somme
Merci à Jim Guillaume pour les photos.
Frédérique BOURSICOT
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