Souvenez-vous, il y a quelques semaines, nous avions interviewé l’organisateur d’un jeu de rôle grandeur nature un peu particulier, puisqu’il était à l’initiative de la chaîne de télévision arte et portait sur le fait de jouer la suite d’un film. L’interview est toujours disponible ici.
Nous vous livrons un premier retour à chaud, disponible également sur le forum de www.murder-party.org, en attendant la publication d’une nouvelle interview de Michel Reilhac dans lequel nous aborderons d’autres aspects de ce jeu de rôles grandeur-nature un peu particulier.
Ça vous dit un petit retour ?
Il y a quelques semaines, la chaîne Arte annonçait le lancement d’un LARP (autrement dit un jeu de rôle grandeur nature) sur la base du film Tournée de Mathieu Amalric. L’idée était d’improviser une suite possible du film, avec les mêmes personnages.
Tout d’abord je dois saluer l’initiative d’Arte et de Michel Reilhac. Décider de se tourner vers le GN, pour un professionnel de la télé, est quelque chose qui dénote d’une volonté d’explorer et d’un certain courage, même pour un spécialiste du transmédia. Toute l’équipe était d’ailleurs au taquet, à commencer par Karim-Armand de Visme, qui sera notre principal interlocuteur pendant toute la durée de l’expérience.
Nos organisateurs ont décidé d’avoir une approche intuitive d’un sujet dont ils ne mesuraient pas au départ l’ampleur et la complexité. Ils ont fait des choix, certains justifiés, d’autres résolument à coté de la plaque. Une analyse poussée de cette mécanique et des intentions sera évoquée prochainement sur Electro-GN dans une interview de Michel Reilhac.
L’approche était sensiblement différente de ce à quoi nous sommes habitués. Il fallait commencer par visionner le film, puis remplir un questionnaire dans lequel on nous demandait quels personnages nous étions prêts à interpréter et pourquoi. Pas si bête en somme… mais…
Les rôles proposés étaient très inégaux. Il s’agissait d’une vision élargie des protagonistes du film. Ça pouvait être soit un des personnages centraux (Joachim Zand et les membres de sa troupe de spectacle burlesque), soit un des personnages secondaires, dont certains ne faisaient qu’une apparition de quelques secondes. Il y en avait même qui n’apparaissaient pas du tout dans le film mais étaient seulement évoqués (le mari de la caissière, le petit copain de la fille de la station service).À ce stade nous étions déjà un peu surpris mais pas encore inquiets…
Quelques jours avant le jeu nous recevions une fiche de personnage, plutôt modeste, décrivant en quelques traits des suggestions de jeu et des secrets connus. Là nous avons vite réalisé que ce GN allait être comparable à l’idée qu’on peut se faire d’un enfant essayant de préparer un repas pour 26 personnes dans une cuisine de restaurant étoilé.
Les suggestions de jeu manquaient cruellement de cohérence et trahissaient dangereusement l’esprit du film. La moitié des personnages n’avaient simplement pas de nom, ce qui les rendaient un peu difficile à utiliser, à moins de considérer que répondre à l’élégant sobriquet de “fille de la station service” est une solution convenable. Les absurdités allaient du simple passé de maquereau à des choses aussi savoureuses que l’espionnage, les flingues dissimulés dans les sous-vêtements, les jumeaux maléfiques, etc. Pour vous faire une idée, imaginez qu’on vous propose de faire la suite de Manon des Sources, mais avec des extra-terrestres et les gendarmes de Saint Tropez.
Évidemment, la bande de GNistes que nous étions s’est vite concertée pour décider quoi faire. Après quelques discussions nous avons convenu de faire parvenir aux organisateurs des listes de questions sur nos personnages, qui mettraient en évidence les inconsistances. Une intervention trop timide qui n’a bien sûr pas fonctionné.
Les organisateurs, bien que pleins de bonne volonté et visiblement désireux d’améliorer leur jeu, étaient pris par le temps et submergés par l’ampleur du projet. De leur propre aveu, c’est à ce stade qu’ils ont découvert qu’organiser un GN représente une masse de travail considérable.
Les réponses et secondes moutures, si elles corrigeaient certaines fautes, n’en restaient pas moins inutilisables. Nous découvrions toutefois nos prénoms et accessoirement les raisons de la présence de personnages improbables, tel que le réceptionniste d’un hôtel distant de 500 km, la caissière d’un lointain supermarché ou un commandant de bord et une hôtesse de l’air, seul rescapés d’un avion crashé dans le jardin (si si, je ne plaisante pas).
Ajoutons à cela quelques demandes croquignoles, tels que “préparez un spectacle/striptease”, valable pour la totalité des personnages, y compris le vieux producteur hors d’âge, ou le splendide “vous n’avez pas retrouvé votre uniforme d’hôtesse de l’air, vous êtes nue”. Tout à fait délicieux quand on considère que le jeu était destiné à être filmé et diffusé sur le site d’Arte.
À ce stade nous commencions à sérieusement déprimer. Toutefois l’enthousiasme de l’organisateur et sa volonté manifeste de bien faire maintenaient notre motivation à un niveau suffisant.
Donc, armés de courage et de détermination, nous avons décidé de persévérer et de faire de ce GN une réussite. Nous avons imaginé divers plans diaboliques pour faire comprendre aux organisateurs, une fois sur place, que leur jeu fonçait droit dans le mur et qu’il nécessitait de sérieux ajustements.
Ce qui nous conduit au début du jeu…
Ben croyez-le ou non, mais à partir de là, ça se passe plutôt bien.
L’accueil est chaleureux. Nous sommes une dizaine de GNistes sur un total de 26 joueurs. Nous nous installons tous en cercle pour un briefing de la part de Michel Reilhac et découvrons ainsi un type calme, à l’écoute et ouvert. Ça inspire confiance. Après quelques minutes de discussion et un vote unanime, nous obtenons l’autorisation officielle de ne tenir aucun compte des éléments parodiques pour nous concentrer sur l’esprit du film. Ouf ! Nous avons affaire à des gens intelligents.
Étape suivante : un exercice de présentation des protagonistes. On nous place en deux cercles concentriques et nous commençons à tourner. Devant chaque personne nous nous présentons et nous livrons à un petit exercice de mime. Si vous avez suivi, vous réalisez qu’à l’issue on n’a fait connaissance qu’avec la moitié des personnages. Ok, tant pis.
C’est l’heure du film. Tout le monde s’assoit, on regarde. Le film est vraiment bien, c’est une très bonne mise en ambiance, rien à redire.
Le film terminé, le jeu commence. Pour nous GNistes, c’est l’épreuve de vérité. Allons-nous réussir, à la seule force de notre conviction et de nos capacités d’improvisation, à faire un GN avec une matière aussi légère ? En tout cas on s’en donne les moyens : adroit bottage en touche des derniers reliquats de situations absurdes et d’incohérences, improvisation d’évènements passés apportant de la richesse au récit, réactivité et souplesse face aux situations inattendues. On se fatigue un peu mais ça tient la route. On s’efforce de donner du jeu à tout le monde et on
déroule trois heures de GN d’une qualité très acceptable et qui entraîne la quinzaine de non-GNistes dans notre monde.
Parlons-en d’ailleurs des non-GNistes. Pour tout dire, j’ai été très agréablement surpris par leur capacité à s’impliquer. Un petit coup de pouce au départ et ils sont tous entrés dans le jeu avec une grande sincérité. Je crois que ça mérite d’être signalé et félicité. J’ajoute que cela démontre de façon assez claire qu’il y a de vraies possibilités d’ouverture du GN vers le grand public.
Vient le spectacle et là c’est la claque ! La demi douzaine de filles qui se produisent, professionnelles du burlesque ou amateurs, sont top. On est tous bluffés. Elles sont belles, elles sont passionnées, elles sont drôles et elles aiment ça. C’est juste du bonheur.
Retour au GN. Nous constatons vite que le jeu s’essouffle. On est en roue libre, ça ne va plus tarder à sombrer. Là encore, nous devons saluer le sens de l’à propos de l’organisateur et la confiance qu’il nous témoigne : il accepte de se ranger à notre avis. Nous bricolons un final happy end très télégénique et impliquant le plus de monde possible, générique de fin, c’est bouclé.
Une sacrée leçon de GN.
Une bonne heure de débriefing plus tard, nous constatons encore que notre organisateur a beaucoup appris de ses erreurs, a su s’adapter et surtout est très motivé pour reproduire l’opération. C’est plutôt une bonne nouvelle. Si le monde de la télé se met à s’intéresser sincèrement au GN, et particulièrement avec des gens capables d’ouverture d’esprit et d’auto-critique, ça ouvre de sacrées perspectives…
Bref, cette expérience a été angoissante et un peu fatigante, mais j’en garde un très bon souvenir et un paquet de rencontres vraiment formidables.
Au passage, je vous transmets un premier retour d’une des non-GNistes :
http://geckobleu007.com/2012/
—
Pascal MEUNIER
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2 novembre 2012 at 2 h 56 min
Merci Pascal pour cette très bonne critique.
Une expérience à renouveler sans hésitation
Nous avons eu en effet de la chance de tomber sur une équipe ouverte et motivée (et qui a compris qu’organiser un GN ne s’improvise pas). Je pense que la prochaine fois il n’hésiteront pas à
faire appel à des gnistes comme script doctor afin de garantir une certaine cohérence de jeu.
2 novembre 2012 at 9 h 43 min
Hey ! Pas mal intriguant tout ça 😉
J’ai cru comprendre qu’il était question d’enregistrement etde retranscription, le tout sera-t-il accessibl sur internet à un moment donné ?
Bises !
4 novembre 2012 at 3 h 13 min
Pour te répondre Nikky,
oui il y va y avoir une sorte de compte rendu filmé, monté avec les interviews des joueurs sur leur personnage et des commentaires de Mathieu Amalric qui va être mis en ligne sur le site d’Arte
le 12 novembre.
Par ailleurs un chat avec Mathieu est également prévu après la diffusion du film.