Le modèle étoile qui a été présenté précédemment cherche a étudier les orientations du GN. Pour mieux comprendre et définir ces orientations, une première étape semble nécessaire.
En médecine, la base consiste à connaître la matière, le fonctionnement et les relations qui fondent le vivant. Je vais donc tenter de faire de même pour l’étude des jeux en commençant par l’anatomie : Quels sont les différents organes vitaux ? Comment sont-ils liés? Quel fonctionnement induisent-ils?
Pour commencer, le modèle étoile est parti des fondements de la théorie GNS, mais il me semble maintenant qu’il doit prendre ses distances. Les nuances, parfois ténues, méritent de reposer les bases pour donner une stabilité au modèle.
Le jeu est à mon avis constitué par des moteurs sur le fond et sur la forme. D’une part le contexte imposé par les auteurs. C’est ce que j’appelle le « fond ». D’autre part, la façon dont le joueur va s’impliquer dans le jeu. Elle est tout aussi importante pour que le jeu fonctionne, que les joueurs s’amusent et que les qualités du jeu soient valorisées. C’est cette implication du joueur que j’appelle la « forme ».
Si les moteurs sont utilisés par les joueurs, ils créent automatiquement du jeu.
Intéressons nous de plus près au “fond”
Le fond du jeu
L’organisation d’un GN permet de définir une ambition pour un jeu, c’est à dire une situation que l’on veut faire vivre à ses joueurs. Elle se construit à partir de moteurs distincts qui peuvent être plus ou moins présents :
Les moteurs de « fond » sont comparables à des pentes sur lesquels les joueurs peuvent se laisser aller en suivant les consignes.
Les Enjeux
Ce sont les éléments qui construisent l’équilibre entre les joueurs et provoquent des évolutions entre eux. Cela inclut pour les individus ou groupes:
– les intérêts et buts individuels
– les atouts et faiblesses
– les risques à encourir
Ces éléments influencent directement le jeu à travers les conflits d’intérêts (Qui sont mes adversaires et alliés ?), les dynamiques de jeu (Qu’est-ce que je peux faire pour arriver à mes fins ?) et les trajectoires de jeu (Comment les équilibres du jeu peuvent-ils évoluer ?)
Exemple : Dans une guerre de gangs, la rivalité entre les gangs puissants A et B profite à C qui est plus faible. C se concentre sur un objectif lui permettant de devenir plus puissant. Il prend le risque de négliger ses adversaires occupés entre eux pour reprendre l’avantage quand ils se seront affaiblis mutuellement.
Les Reconstitutions
Ce sont les éléments qui constituent l’univers du jeu et sa cohérence. Pour recréer un univers, un certain nombre d’éléments sont nécessaire pour le rendre crédible. Il s’agit principalement de :
– l’aspect
– la culture
– le fonctionnement
Ces éléments créent la scénographie à travers l’identification (Que représente cette scène ?), l’ambiance (Est-ce que je me sens intégré à cette scène ?) et le réalisme (À quel point les détails sont-ils reproduits dans cette scène ?)
Exemple : pour constituer un cadre médiéval historique, il est nécessaire de rassembler des éléments liés à cette période (costumes, accessoires, décors, etc.) ainsi que la culture (langage, morale, système féodal, croyances, etc.) et les méthodes de cette époque (techniques de travail, contraintes particulières, etc.). Réunir ces éléments implique bien sûr d’écarter les incohérences (dans notre exemple : le fantastique, les anachronismes, les comportements hors jeu, etc.).
Les Narrations
Ce sont les éléments qui construisent et dirigent le sens de l’histoire. Ces cadres narratifs sont :
– Les introductions, c’est-à-dire les limites posées pour le contexte (Quels sont les lieux, personnages, repèrers temporels et contexte d’action ? Exemple : Un voyage en train de quelques heures. Des voyageurs qui se retrouvent après avoir vécu des événements en commun).
– Les événements, c’est-à-dire les interventions qui orientent le scénario du jeu (Quel schéma narratif allons-nous suivre ? Exemple : Un conte => situation de départ avec un grand méchant, le héros se prépare à le combattre, il trouve un trésor magique, il traverse des épreuves, puis c’est le combat final).
– Les dénouements, c’est-à-dire les issues potentielles pour les joueurs (Quelles sont les fins qui s’offrent aux joueurs ? Exemple : fermeture de la porte du chaos ou destruction du monde avec quelques rescapés)
Intéressons-nous de plus près à la “forme”
La forme du jeu (ce dont dispose le joueur)
L’écriture d’un GN permet de définir la façon dont les joueurs vont s’impliquer dans le jeu, une façon d’être utile et d’y prendre plaisir. Les renseignements contenus dans la fiche de personnage, dans le contexte de jeu, dans le livret de règles apportent la matière pour créer le jeu, tout autant que les objets de jeu et les interventions PNJ. Tout cela contribue à construire “la forme” ; Elle est constituée de trois moteurs qui peuvent être plus ou moins présents :
Les moteurs de « forme » sont comparables à des prises auxquelles les joueurs peuvent s’accrocher pour évoluer dans le jeu.
Les Moyens
Ce sont les éléments qui permettent d’agir physiquement durant le jeu et qui apportent une liberté d’action. Il s’agit des compétences (magie, combat, séduction, etc…), des outils (lampe, armes, argent, etc…) et des capacités physiques des personnages (voir, parler, marcher, etc…).
Les Liens
Ce sont les éléments qui définissent les rapports avec les autres personnages et qui provoquent les interactions. Il s’agit des émotions (la surprise, l’amour, la haine, le désir, la joie, la tristesse, etc.) et des perceptions (sentiments, sensations, interprétations, etc.) qui relient les personnages.
Les Pistes
Ce sont les éléments fournis permettant de comprendre les mystères que propose le jeu. Ils font appel à la logique. Il s’agit des indices, des fausses pistes concluant à la résolution d’énigmes. Elles peuvent apparaître sous plusieurs formes (certitudes, suppositions, informations cachées, dans les documents de contexte, dans les objets de jeu, en interrogeant un PNJ, etc…)
À la manière d’une recette de pâtisserie, il sera parfois difficile de retrouver les ingrédients de base dans la pâte à gateau. En effet, un objet de jeu ou une fiche de personnage impliquera probablement ces 3 familles d’éléments en même temps. Exemple : Une lettre d’amour. Elle peut être un moyen (outil) utile dans le jeu pour faire connaître secrètement ses intentions à l’élue de son coeur. Elle sera également un lien (émotion ressentie) qui unit, au moins dans un sens, les 2 personnes concernées. Elle sera enfin une piste (indice) qui permettra de faire découvrir la vérité à celui qui l’aura dérobée…
Un modèle global
Il y a selon moi trois raisons principales pour ne pas dissocier le fond et la forme dans la définition et la modélisation d’un jeu :
– D’abord, les règles du jeu apportent une somme de consignes qui permettent à chacun de participer, de respecter son fonctionnement et de construire une issue en accord les uns avec les autres. Ces règles sont indispensables pour le fond comme pour la forme du jeu.
– Ensuite, que ce soit pour le joueur ou pour l’organisateur, le jeu ne peut pas exister si l’un des deux éléments n’est pas présent. S’il n’y a pas de fond, l’activité n’a pas d’intérêt. S’il n’y a pas de forme, les joueurs ne peuvent pas prendre part au jeu.
– Enfin, la qualité d’un jeu, c’est à dire, pour moi, le fait que les participants passent un bon moment dépend autant de ce que le jeu propose que de ce dont le joueur dispose (fond et forme)
Si ces deux parties sont si intimement liées, il est impossible de bien comprendre un jeu sans évaluer la part que peuvent prendre les formes du jeu.
En respectant ce principe, la combinaison du fond et de la forme constitue une structure ou plutôt des fondations communes à tous les jeux. Une fois reconstituée, elle prend donc la forme suivante :
Trois axes coupent l’étoile d’une pointe à son opposée :
– L’axe jaune est celui des relations. Il relie les enjeux dans lesquels les joueurs sont plus ou moins individualisés, aux liens dans lesquels les joueurs sont plus ou moins attachés à leur environnement.
Il sépare le modèle entre une partie “abstraite” (à gauche) et une partie “concrète” (à droite).
– L’axe rouge est celui de l’action. Il relie les narrations dans lesquelles les joueurs sont plus ou moins dirigés, aux épreuves dans lesquels les joueurs agissent de façon plus ou moins autonome.
Il sépare le modèle entre une partie “intérieure” (en haut à gauche) et une partie “extérieure” (en bas à droite). Dans la première, les joueurs sont tournés vers eux-mêmes. Dans l’autre, ils sont tournés vers leur environnement.
– L’axe bleu est celui de la réflexion. Il relie les reconstitutions dans lesquelles les joueurs s’intéressent à l’apparence d’un univers plus ou moins défini, aux Pistes dans lesquels les joueurs analysent plus ou moins les informations fournies.
Il sépare le modèle entre une partie “subjective” (en haut à droite) et une partie “objective” (en bas à gauche).
Le modèle Alpha
En repartant des orientations de ces axes pour constituer une nouvelle étoile, on obtient le modèle ci-dessous. Ce modèle est généraliste et apporte les orientations brutes. Je l’ai appelé modèle Alpha.
Nous verrons plus tard comment ce modèle étoile peut être utilisé comme référence pour mieux décrypter un jeu.
Pierre-Olivier BLONDONT
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7 mars 2012 at 8 h 43 min
Je ne partage pas forcément l’approche, mais je suis content de voir une telle réflexion sur le GN. Bravo !