Fiches de personnages – (extrait n°=4) Accéder à l’article n°=3
Trames et enjeux en GN
L’article suivant est issu d’une conférence des GNiales 2010.
Une histoire est la somme de plusieurs événements
Un scénario de GN est bien souvent la somme de nombreuses histoires. Même du point de vue d’un seul personnage. Pourquoi un personnage va-t-il souvent vivre des histoires multiples au cours d’un GN ? Les films, ou les livres, où le personnage va être confronté en simultané à de nombreux protagonistes, rassemblés par des histoires véritablement différentes sont rares.
Je crois que la raison première est qu’il semble plus simple de gérer une histoire en deux ou trois événements (ou interactions dans le cas d’un GN) qu’une histoire qui en nécessite dix.
En écrivant une histoire simple, qui trouvera sa conclusion en peu d’interactions, je réduis le champ des possibles. Dans un GN, la courbe narrative est donc souvent une succession d’interactions, de climax et de dénouement. On peut assumer ou refuser cela. Mais qu’il y ait une ou plusieurs histoires pour un personnage au cours d’un jeu ne change rien. Celui qui veut gérer plusieurs histoires, en une ou deux péripéties, ou une seule histoire en dix péripéties, va devoir se plier aux mêmes exercices d’écriture.
Chercher les trames
Mon scénario, c’est donc l’histoire que va vivre mon personnage (voir article 1). Ses choix vont influencer le cours des événements. Donc il peut y avoir plusieurs avenirs pour lui. Donc il faut que je conçoive mon scénario comme un ensemble de possibilités.
De T0 au dénouement, il est possible de lister les interactions potentielles que va rencontrer mon personnage. Je peux alors m’assurer que :
Avant Tx,
Le joueur possède les informations nécessaires pour parvenir à Tx.
À Tx,
Je connais les différentes conclusions possibles de l’événement Tx pour le personnage. (Pas forcément les moyens utilisés)
Après Tx,
Le personnage possède les informations nécessaires pour parvenir à Tx+1
Il s’agit là d’objectifs pour l’auteur et non pas d’une méthode, mais je pense que proposer une véritable méthode permettant d’identifier les trames et de véritables outils doit pouvoir se faire.
On voit que le travail n’est pas si différent de celui qu’on effectue lorsqu’on travaille la backstory de son GN. Sauf que pour chaque étape de l’histoire, on subdivise nos trames potentielles en plusieurs branches selon les conclusions des interactions.
Estimer toutes les possibilités sera parfois impossible, surtout à T60, surtout à l’approche des conclusions, mais on pourra souvent imaginer différentes « familles » de conclusions à un événement (le conflit reste entier, se résout, la vérité éclate, reste cachée, etc.).
Une fois identifié les informations nécessaires au bon déroulement de mon histoire, je peux rédiger mes documents préliminaires en m’assurant que leur contenu est suffisant pour affronter l’histoire. (voir articles précédents)
Évidemment ce sera plus simple pour T0 que pour T22. Et évidemment c’est beaucoup plus lisible pour une histoire que pour plusieurs qui risquent de se mélanger, se chevaucher.
Chercher les enjeux
Avant et après Tx, notre personnage aura donc suffisamment d’informations pour pouvoir se rendre à Tx+1. Mais attention, ce n’est pas parce qu’il peut, qu’il veut s’y rendre. C’est pourquoi il est important de travailler les enjeux et les objectifs à T0 comme à Tx.
Les enjeux
Dans une histoire, le personnage est accompagné par un enjeu. De même que Polti propose un tableau des 36 situations dramatiques de base, certains théoriciens expliquent que les divers enjeux possibles ne sont pas nombreux. Il correspondent globalement aux enjeux de l’espèce humaine depuis ses débuts (voyez ça comme un moyen mnémotechnique) :
-survie
-protection des siens
-construction et possession (y compris de l’autre)
-savoir et comprendre
-construction de soi
L’équilibre des enjeux
C’est faire attention à ce que les enjeux puisse cohabiter. Sachant que l’enjeu de la survie va rarement cohabiter facilement avec l’enjeu de la construction de soi. (On l’a dit : pensez à l’espèce humaine). Allez parler de la construction de soi à quelqu’un qui crève de froid et de faim et vous verrez.
Les objectifs
En GN c’est un gros mot puisque on retrouve souvent des fiches où une liste d’objectifs est donnée dès le départ. Beaucoup crachent dessus parce que cette liste encourage à concevoir la liste d’objectifs comme une liste de points à réussir absolument.
En revanche, cette liste a bien souvent le mérite de donner des poteaux indicateurs qui, à Tx, permettront au joueur de savoir quoi faire.
Un bon exercice : Écrivez une liste d’objectifs d’après un background de personnage et demandez à un autre organisateur ou joueur de faire de même. On compare vos deux listes ?
Les enjeux et les objectifs peuvent se déliter au fur et à mesure que le GN avance. Bien souvent les interactions précédentes n’ont pas conduit à une véritable conclusion, ni à un nouvel objectif. Il est donc nécessaire d’y penser. (Si toto obtient l’accord de son patron, que va-t-il faire du reste de la journée)
L’enjeu immuable
Dans les séries américaines où le scénario est complètement (Dexter) ou en partie (Dr House) porté par le personnage, chaque épisode ne fait pas progresser l’histoire du personnage. La progression est lente. Si un épisode vous fait croire à une évolution, l’épisode suivant vous montre que rien n’a changé.
Serge Rosenzweig (le club des cinq, les mondes engloutis, pif et hercule) énonce une règle simple que je trouve marquante. (D’autant que la plupart des ouvrages de référence sur l’écriture de scénario parle plus de l’unitaire que de la série) :
« Merci de laisser la série dans l’état où vous l’avez trouvé ! »
Prenons un exemple :
Dans South park. Les personnages apprennent un truc à chaque épisode mais ils l’ont oublié dans l’épisode suivant.
Mais le GN va souvent rencontrer des problématiques de la série. Il vient du jdr sur table, pensé pour le jeu en campagne, donc la série. Il utilise souvent des histoires multiples. L’équilibre des enjeux n’est pas souvent respecté. En bref, la psychologie du personnage et son évolution ne va pas pouvoir coller avec les histoires diverses qu’il va croiser. Notre personnage ne va pas pouvoir pleurer sa fille et être heureux de conclure une belle vente dans la même journée. Si l’on en croit Rosenzweig, la solution serait de ne jamais modifier les enjeux du personnage.
L’enjeu immuable c’est cela. Un enjeu qui va conduire à Tx. Tx qui va amener à une conclusion. Tx qui va donner des informations qui conduiront à Tx+1. Mais l’enjeu va rester le même.
Prenons un exemple :
Rose veut épouser jean mais son père s’y oppose. Elle tente de présenter jean comme un homme riche en lui inventant un oncle et un héritage.
Tx est donc cette présentation du mensonge au père. Celui-ci hésite puis s’y oppose, soit parce qu’il découvre la ruse, soit parce qu’il décide que ce n’est pas suffisant et qu’il lui faudrait aussi une particule de noblesse à ce jean.
À Tx+1, l’enjeu est le même. Mais les objectifs ont changé. Bref l’enjeu est immuable. C’est un excellent ressort dramatique.
Le Macguffin
Dans un thriller, en général, l’enjeu évoqué à T0 est un Macguffin.
Selon le Oxford English Dictionary, Hitchcock a défini le MacGuffin lors d’une conférence donnée en 1939 à l’université Columbia : « Au studio, nous appelons ça le MacGuffin. C’est l’élément moteur qui apparaît dans n’importe quel scénario. Dans les histoires de voleurs c’est presque toujours le collier, et dans les histoires d’espionnage c’est fatalement le document. »
Il se peut que le créateur de l’expression soit Angus MacPhail, scénariste et ami de Hitchcock.
Hitchcock emploie ce concept à maintes reprises : par exemple les formules secrètes des 39 marches, l’uranium dans les bouteilles de vin dans Les Enchaînés, la somme d’argent volée dans Psychose et Pas de printemps pour Marnie, le couple d’inséparables dans Les Oiseaux ou bien les bijoux dans La Main au collet. Pour Hitchcock lui-même, son meilleur MacGuffin était celui de La Mort aux trousses car les « secrets du gouvernement » dont il est question durant tout le film n’existent même pas sous la forme de documents : ils restent une pure abstraction.
Dans son œuvre, le MacGuffin et les convoitises qu’il suscite entraînent les héros dans moult péripéties, si bien que l’élément lui-même perd de son importance et est vite oublié.
Le Macguffin existe pour faire croire qu spectateur que les enjeux pour le personnage sont énormes. Mais en vérité, nous le supposons puisque nous ignorons de quoi il s’agit. Souvent, le rythme empêche de remettre en cause les enjeux. Mais en GN, le rythme est moins soutenu et conduira le joueur à chercher régulièrement quels sont les enjeux de l’histoire. Sans enjeux clairs, point de proactivité du joueur, pourtant indispensable au jeu.
Nous n’avons pas tous la même vision lorsque l’on écrit une histoire. Certains perçoivent plus facilement ce qui va créer un enjeu immuable et l’ensemble des trames qui peuvent apparaître. D’autres auront besoin de méthodes pour cela. Nous essaieront de nous pencher dessus un jour ou l’autre, mais je crois que ces méthodes existent déjà et que les échanges divers que nous avons entre scénaristes en font apparaître, de même que le fait de jouer et de se nourrir de livres et de films régulièrement.
Envisager trames et enjeux se fait naturellement et l’on peut s’y entraîner, puisque nous sommes habitués à le faire en tant que lecteurs et spectateurs.
Dans un prochain extrait de cette conférence, nous parlerons des méthodes alternatives qui sont rarement utilisées en GN.
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Voila des infos complémentaires en anglais et beaauucoup d’exemples sur les mac guffin:
http://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/MacGuffin
Enjoy 😉