Il y a peu le lancement d’un GN de poche écrit par Yannis a défrayé la chronique au sein d’un certain microcosme GNistique. L’objet du scandale : Love is All. Un jeu pour deux, sans organisateur où les joueurs vont vivre l’histoire d’amour de deux personnages, de leur rencontre à la fin de leur histoire. Jusqu’ici rien de follement original ? La particularité du jeu, et qui a pris beaucoup de place dans sa communication, est que les rapprochements physiques doivent se faire sans simulation. Lorsque l’on décide de jouer Love is All on accepte de rouler des pelles et de câliner son partenaire, cela fait partie du contrat et la volonté de l’auteur du jeu est très claire là-dessus.
Lorsque j’en ai entendu parler la première fois, il est très vite devenu “le jeu où on se roule des pelles”, ce qui sur le moment ne m’a pas donné spécialement envie. Par la suite, Yannis a mis en ligne la note d’intention du jeu et j’ai eu envie d’aller au-delà de cette question du roulage de pelle et de vivre cette histoire telle qu’il l’avait écrite. J’ai eu aussi envie de vivre l’expérience pour pouvoir la relater ici et la démystifier un peu. Merci à mon partenaire qui m’a proposé de la vivre avec lui.
Alors, on vit quoi pendant ce jeu ?
Love is All raconte l’histoire d’un couple en douze scènes qui avancent dans le temps. Au début du jeu les personnages sont enfants, à la fin ils ont une soixantaine d’années. La construction est intelligente et amène progressivement de l’intimité entre les personnages ce qui permet aux joueurs d’entrer peu à peu dans cette histoire et d’instaurer de plus en plus de proximité entre eux.
De mon point de vue, la proximité physique est le ressort principal du jeu et je rejoins totalement Yannis dans son intransigeance à ce sujet. Parce que les deux joueurs vivent leur premier baiser d’amour en même temps que leurs personnages (ce n’est pas un roulage de pelle pour rigoler en soirée), ils rentrent dans une dynamique tactile qui renforce l’intensité des scènes qu’ils vont vivre par la suite. À mon sens, on ne peut pas jouer un couple et croire à ce couple si l’on ne s’embrasse, ni ne s’enlace. Sans être tout le temps collés l’un à l’autre, cette proximité permet de croire à ce couple et à cette histoire et donc de mieux rentrer dans le jeu.
Éléments de design
En ce qui me concerne j’ai trouvé que la succession chronologique des scènes était une vraie réussite. Pour une raison qui m’échappe je m’attendais à une narration éclatée et à devoir sans cesse jongler entre différents âges de la vie de mon personnage. Il n’en est rien, ce qui permet de donner de la force à l’histoire. À mesure que les scènes se succèdent le temps passe et l’attachement de nos personnages l’un pour l’autre grandit. On est donc en quelque sorte guidés par la main vers l’acmé souhaitée par l’auteur et cela fonctionne très bien.
En dehors d’une scène qui a moins bien marché que les autres tant elle semble en rupture avec le reste, elles ont toutes été très efficaces, certaines particulièrement poignantes et réussies. Les scènes de silence où les échanges des personnages passent par leur corps sont les gros points forts du jeu. À titre personnel c’est ce que j’ai préféré.
Si j’ai globalement apprécié le design du jeu et l’expérience qu’il m’a fait vivre, je trouve qu’il mériterait certains ajustements.
Les personnages sont à peine esquissés. Il y a une grande part d’improvisation au cours des scènes qui incite finalement à jouer proche de soi. J’aurais préféré que les personnages soient davantage écrits pour limiter les risques de bleed-in et pour faciliter l’improvisation lors de certaines scènes. Une écriture plus approfondie devrait permettre en outre de rentrer plus vite dans l’histoire. Sur notre session les premières scènes ont été un peu flottantes à cause de cela.
Le jeu se découpe en treize scènes dont une hors-jeu. J’ai trouvé cela trop court et je pense qu’il gagnerait à avoir des scènes supplémentaires de complicité tout au long de la vie des personnages. Chaque scène est très guidée. Les joueurs savent à l’avance comment ils doivent la terminer ce qui est un vrai confort. Néanmoins certaines suggestions de jeu m’ont un peu parasitée dans le sens où je me suis forcée à jouer selon les suggestions de l’auteur alors que mon intuition me portait à faire différemment. En en parlant avec Yannis après le jeu, il m’a confirmé qu’en dehors de la fin, qu’il est important de garder scriptée, les joueurs sont libres de mener la scène comme ils l’entendent. Dans le document actuel ce n’est peut-être pas tout-à-fait assez clair.
Dernier petit point concernant les scènes, plusieurs situations font la part belle au mime (mimer une partie de golfe ou une déambulation dans un magasin par exemple), ce qui peut avoir pour effet de vous sortir un peu du jeu. À mon sens on pourrait très bien imaginer des contextes plus proches de l’environnement dans lequel les joueurs se trouvent (a priori un appartement) sans rien perdre de l’intérêt des scènes.
Un jeu très dur
La découverte progressive des scènes est un élément important de la conception, je ne peux donc pas trop en dire. Néanmoins il me paraît indispensable d’insister sur l’avertissement donné par l’auteur. Le jeu est très dur et certaines des thématiques abordées sont susceptibles de vraiment vous attaquer de plein fouet (la dépression, la non-parentalité, l’alcoolisme, la maladie, la mort). Comme beaucoup de GNistes j’ai lu les avertissements de l’auteur et je me suis dit “oui, pas de problème, je gère”. Arrivée en face de la description des scènes qu’il m’allait falloir jouer, ça a été une autre histoire.
Je pense qu’il est important de s’attendre à sortir de ce jeu un peu heurté. À mon sens, un vrai debriefing avec son partenaire à la fin est également nécessaire. Les instructions de l’auteur sont assez libres de ce point de vue. Pour ma part j’ai vraiment ressenti le besoin d’un sas de décompression pour me remettre. Si nous nous étions quittés là avec mon partenaire sans prendre le temps de discuter de choses et d’autres ensemble, j’aurais sans doute bien plus mal vécu cette expérience.
Love is All, un jeu pour pécho ?
Non. Je dirais même que si vous voulez pécho quelqu’un, Love is All n’est vraiment pas le meilleur moyen pour le faire. Sur ce jeu vous allez traverser l’histoire d’amour de deux personnes en accéléré avec les (très) bons et les (très) mauvais moments. Je vous déconseille donc personnellement de le jouer avec quelqu’un qui pourrait potentiellement devenir votre partenaire dans la vie ou qui l’est déjà, pour la simple raison qu’anticiper les (très) mauvais moments peut être difficile à gérer. À ce titre l’avertissement donné par Yannis dans sa note d’intention sur le fait de jouer ce jeu en couple est vraiment pertinent.
En revanche il me paraît assez indispensable de jouer ce jeu avec un partenaire de confiance. Mieux vaut donc attendre la bonne personne pour vous lancer dans cette expérience. Yannis a, pour ce faire, mis en place deux modes d’inscription au jeu. On peut s’inscrire à deux après avoir déjà trouvé son ou sa partenaire, mais on peut aussi s’inscrire en mode “Tinder” si l’on n’ose pas demander directement : Yannis vous propose alors une liste de gens inscrits afin que vous lui disiez avec lesquels vous seriez susceptibles de jouer. Si en face l’autre joueur ou joueuse a aussi indiqué qu’il accepte de jouer avec vous, alors Yannis vous met en contact. Sans être idéale cette solution peut convenir aux plus timides.
Plus d’informations sur le jeu : https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLScOIwm1kacoJkhtoRcBWybRKuzTZDPCCRyGwPYQbCcSJwt3Uw/viewform
Une autre critique selon un angle différent : https://faranechaotique.tumblr.com/post/164766640625/love-is-all
Lucie CHOUPAUT
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