Cabaret 1930 est un jeu d’inspiration historique et ambiance inspiré par le film Cabaret (1972), pour 44 joueurs et une durée de 14h environ, produit en Belgique dans le cadre de l’association Et Encore Asbl. J’ai eu l’occasion de participer à la deuxième session, jouée à Bruxelles le 25 mars 2017. Cet article reviendra sur les points essentiels de ce jeu, qui devrait connaître encore au moins une autre session.
Structure, thème, techniques
Le jeu propose de faire vivre un club, Die Kabarett, au cours de trois soirées du nouvel an en 1928, 1930, et 1933. Cette progression temporelle suit la dégradation de la République de Weimar et la montée du nazisme.
Il s’agit donc d’un jeu en séquences, avec une ellipse temporelle entre chaque partie. Chaque temps de jeu commence par une phase de black box dirigée, où les participants jouent des scènes scriptées de leur passé, la dernière scène, collective, servant de transition. Les participants jouent ensuite la soirée au Cabaret : une phase durant laquelle les clients arrivent et les artistes répètent, et une phase de spectacle, pendant laquelle les visiteurs peuvent cependant continuer librement leurs interactions. Seul le dernier numéro, ou clou du spectacle, qui clôt la période, se fait dans le noir et en silence complet. Le « au revoir et bonne année » du MC marque la fin de chaque acte, et donc, de la même manière, la fin du jeu, l’épilogue étant envoyé aux participants par écrit.
Avant le jeu, les joueurs reçoivent un rappel historique, leur fiche de personnage, comprenant une page d’historique et une à deux pages de description des autres personnages et relations, et le who is who. Le jeu est précédé d’une journée d’ateliers dédiés à la sécurité et aux méta-techniques, et, sur site, de trois heures consacrées à la préparation et aux ateliers (Hot Seat et entraînement à l’Ars Amandi, utilisé pour la simulation des relations intimes).
Le jeu est centré sur la vie, l’évolution, et les relations entre personnages. Ces derniers représentent un microcosme assez complet de la société interlope berlinoise : artistes, intellectuels, industriels, travailleurs, communistes, et bien sûr futurs nazis. Une assez bonne distribution en termes de genre est à noter, avec des personnages féminins très divers et qui évitent l’écueil du cliché ou de l’objectification (même pour les personnages potentiellement plus « sexy » du Cabaret), deux personnages transgenres, ainsi qu’un traitement assez complet de personnages homo- et bi-sexuels.
Secrets, tractations politiques, économiques et diplomatiques, histoires d’amour et d’amitié, insouciance du présent et peur de l’avenir alimentent donc le plus gros des échanges. En filigrane, bien sûr, et de manière plus prononcée dans le dernier acte, se pose donc la problématique de la montée du nazisme et de la fin des cabarets berlinois. Sans avoir la brutalité de “Pour la France”, le jeu amène donc également quelques questionnements sur l’embrigadement dans l’idéologie extrémiste et les réactions des simples individus face à un contexte qui les dépasse, les avale, ou finit par les écraser.
Ces problématiques, cependant, ne concernent qu’une minorité de personnages avec des sympathies nazies. La fin du jeu crée d’ailleurs des divisions et des tensions fortes entre ceux qui s’alignent derrière l’idéologie dominante, et ceux qui la rejettent, avec, inévitablement, une fin tragique pour ces derniers.
À la base, des qualités évidentes
« Cabaret 1930 » est un jeu dont les choix de design sont délibérés et cohérents avec l’expérience de jeu qu’il cherche à donner. Sur un temps de jeu relativement court, il parvient à donner aux participants les moyens de s’engager dans une histoire et des échanges prenants. La backstory de chaque personnage est assez développée pour donner matière à des interactions variées.
L’atmosphère est bien évidemment un point fort du jeu : ce dernier propose une immersion à 360° dans la représentation du Cabaret, tant visuellement que, bien sûr, dans l’environnement musical. Les références directes au musical sont bien trouvées, sans pénaliser toutefois les participants qui n’auraient pas vu l’œuvre de référence.
Du fait des longues ellipses temporelles, les participant.e.s ont de larges possibilités d’évolution pour leur personnage et le contexte historique trouble favorise une progression dramatique intense. À ce titre, « Cabaret 1930 » est un jeu efficace, en particulier dans la partie proprement Cabaret (artistes et employés), celle-ci comportant des enjeux propres liés à l’inévitable chute de l’établissement après 1933.
À la marge, certaines limites
Le jeu n’est cependant pas exempt de limites. Son exécution a parfois pu manquer de fluidité, en particulier dans les phases de Black Box, et certaines trajectoires ont pu être difficiles à interpréter faute d’information plus détaillées ou de possibilités claires de gérer les phases d’inter-jeu directement entre joueurs.
Avec une structure partiellement ouverte, les personnages étant appelés à d’importantes évolutions, le jeu penche fortement vers une approche narrativiste, nécessitant parfois une bonne dose de guidage de la part des joueurs. Il aurait donc pu bénéficier d’une communication plus claire sur la thématique du « comment jouer », ainsi que sur les modalités d’évolution des personnages et de co-création de l’histoire par les joueurs.
De la même manière, même si la sécurité n’était pas négligée, avec communication claire et usage de safewords, certains pourront regretter l’absence d’ateliers post-jeu, par exemple une phase de de-roling plus formelle.
On peut cependant affirmer que le jeu ne pourra aller que s’améliorant avec l’expérience additionnelle tirée de la réorganisation, ainsi qu’une gestion des transitions, du flot du jeu et de la communication plus lissée. Il n’en demeure pas moins que ces quelques défauts n’ont que peu enlevé au caractère très appréciable de ce jeu.
Conclusion
Cabaret, le musical, avec son atmosphère et visuel marquant, a déjà été exploité en GN, par exemple dans “Rêves d’Absinthe”, ou “Cabaret, the larp musical”. L’époque, la musique, et le contraste entre ambiance décadente et montée du nazisme s’y prêtent d’ailleurs fort bien.
Sur cette base déjà riche, “Cabaret 1930” se révèle un jeu intéressant, construit de manière créative, et qui se donne les moyens de proposer une expérience immersive, émotionnelle et porteuse d’enseignement. Il est un exemple supplémentaire d’adaptation réussie d’un autre média en GN, en prenant de l’œuvre d’origine ce qui en fait l’intérêt et l’atmosphère unique, tout en la rendant jouable et accessible à tous.
Crédits :
Organisateurs : Stephan Gauvrit, Fougère Lopez, Axel Van Wassenhoven
Co-écrit par : Anthony van Eycken
Production : Et Encore ASBL
Photos : pré-jeu, Elodie Laurencin
Muriel A.
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