Cette année encore, LaboGN (qui célébrait sa deuxième édition) a été l’occasion de découvertes, notamment en termes de jeux. Dès la première journée j’ai en effet eu l’occasion de participer à une session du jeu “Sarcophage” écrit par Kaia Aardal, Jone Aareskjold et Martin Nielsen, traduit et organisé par Jul pour une vingtaine de joueurs (?).
Ce jeu en blackbox (sur ce point je vous renvoie à d’autres articles publiés sur Electro-GN et qui expliquent de quoi il s’agit), très minimaliste dans sa conception, fait vivre les derniers instants d’un groupe de personnages réfugiés dans un bunker à la suite d’une attaque nucléaire sur une grande ville européenne (en l’occurrence Paris) de nos jours. Il ne s’agit pas d’un jeu survival où l’on cherche un moyen de s’organiser après le cataclysme, mais bien d’un jeu d’acceptation et de renoncement. Les personnages vont mourir et cela ne fait aucun doute pour les joueurs.
La gestion de la narration
Le jeu commence après une introduction audio, les personnages (sur lesquels je reviendrai un peu plus tard) se placent comme ils le veulent dans le bunker (la blackbox), ferment les yeux et attendent le déclenchement de ce que j’appelle “la sirène du mercredi”, qui annonce que c’est la merde et qu’il vaut mieux se réfugier là où ça craint moins. Le jeu peut alors commencer. La narration est structurée par un jeu de lumières, qui vont clignoter puis s’éteindre progressivement ce qui finira par marquer la fin du jeu (en réalité on joue encore bien 20 min dans le noir total avant que le jeu ne s’arrête). Les personnages (et les joueurs) perdent la notion du temps. On joue en continue pendant 3 heures, mais ces trois heures correspondent en réalité à trois jours. Enfermés dans un bunker, les personnages ont une impression de temps distendu, et les questions sur le temps qui s’est écoulé et qui nous reste sont un des éléments du jeu.
Le jeu sur les lumières a deux avantages :
– premièrement il permet aux joueurs d’avoir une idée d’où on en est dans le jeu pour pouvoir doser les différentes émotions qui peuvent nous traverser lorsque l’on est enfermé en sachant qu’on va mourir et ainsi évaluer la progression dramatique de notre personnage.
– deuxièmement il apporte un vrai élément de jeu, le clignotement des ampoules apportant sa dose de stress et d’énervement, de peur lorsque toutes les lumières s’éteignent, etc.
La joie de vivre sur nos faces
La création des personnages
La vraie qualité du jeu réside selon moi (outre le thème, qui personnellement me faisait déjà rêver) dans la construction des groupes de personnages. Nous sommes ici dans un jeu où les personnages ne sont pas pré-écrits, ce sont les joueurs qui vont créer de toutes pièces les personnages qu’ils ont envie d’incarner à l’occasion d’ateliers avant le jeu, mais l’originalité réside dans la nature des relations que Jul nous a demandé de créer. Nous avons en effet été répartis en deux groupes de personnages : ceux qui allaient jouer des relations fortes (surtout d’ordre familial) et ceux qui allaient jouer des relations superficielles (de simples connaissances qui n’ont, parfois, jamais échangé aucun mot). J’ai été vraiment très séduite par cette idée de créer des relations superficielles, notamment dans un contexte de ce type où l’on imagine facilement se retrouver seul.e parmi des inconnus si un événement comme celui-là venait à se produire. Par petits groupes (5 personnes dans mon groupe), nous avons déterminé ensemble les noms, âges et métiers de nos personnages, puis nous avons établi les liens entre nos personnages : untel avait chatté quelques temps avec unetelle sur un site de rencontres, untel et untel se croisaient tous les matins dans le même café, untel et unetelle étaient voisins, untel et untel avaient déjà échangé quelques mails, etc. Il s’agissait de connaître les gens de vue, sans les connaître, d’avoir de potentiels points d’accroches en jeu, mais suffisamment légers pour pouvoir bien goûter le poids de la solitude. Tous les autres personnages du jeu nous étaient parfaitement inconnus.
J’ai apprécié ce mode de création de personnage qui nous laissait particulièrement libres de créer ce qu’on voulait et notamment parfois des personnages très proches de nos réalités pour expérimenter le jeu sous un angle hyper réaliste.
En jeu
En jeu, du côté des relations superficielles j’ai trouvé que cela fonctionnait remarquablement bien. Ne connaissant vraiment personne nous sommes quelques uns à avoir eu un jeu très introspectif et silencieux, rendant d’autant plus fortes les rares paroles anodines échangées.
Nos personnages pouvaient avoir sur eux des éléments de jeu comme un carnet et un stylo, un portable qui ne capte plus et dont la batterie va progressivement mourir au cours du jeu, bref des éléments du monde extérieur auxquels les personnages doivent aussi renoncer pour accepter leur mort.
La lettre d’adieu écrite par mon personnage à sa sœur au cours du jeu
Le seul véritable point négatif du jeu se situe, à mon sens, dans un élément de surprise prévu par le scénario et que je ne vais pas vous spoiler, mais qui me paraît très inutile et perturbe plus le jeu qu’il ne l’enrichit. Selon moi il ne faut pas hésiter à retirer cette surprise pour de prochaines organisations. Quoi qu’il en soit, hormis cette réserve, c’est un jeu que je vous recommande si vous aimez ce genre d’ambiance ou si vous avez lu Malevil de Robert Merle.

Lucie CHOUPAUT

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17 septembre 2015 at 10 h 23 min
Simple et efficace :b)
25 septembre 2015 at 16 h 18 min
Cet article m’a donné envie d’y jouer.
8 octobre 2015 at 9 h 52 min
ça me fait penser aussi au pitch de Charybde en Cylon, le GN BSG de Gniarc cet été, en plus minimaliste. Il y avait eu une utilisation similaire des ellipses temporelles avec emploi de lumière et musique et pas mal d’ateliers avant le jeu pour doser l’intensité des liens entre les personnages et les groupes de personnages.
Très sympa et très tentant de rejouer dans cette ambiance !