Un jeu eXpérience, de Lucie Choupaut
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Le week-end dernier je suis parti prendre quelques vacances dans l’Hérault, où, pour être précis, j’ai séjourné dans la ville de Saint Pons.
Accueilli par la famille Chabardès, de dignes notables locaux, c’est près de 23 années de la vie de ces gens que j’ai pu partager.
À la réflexion, “accueilli” est peut-être un bien grand mot, si on veut accorder à celui-ci un sens chargé de bienveillance et d’hospitalité. Les Chabardès sont des gens bien, certes, des bourgeois sans aucun doute, mais pas des gens conviviaux. Aucun écart de conduite ne sera toléré sous la surveillance vigilante du patriarche et des matrones de la maison. Dans de nombreux cas, même une conduite irréprochable ne sera pas jugée suffisante.
Carmen Chabardès est un GN pour quatre joueurs et quatre joueuses, dont l’action se déroule au tout début du 20ème siècle, et qui traite du deuil.
Oui, bon, évidemment, dit comme ça, on dirait que ça n’est pas très glamour. Mais détrompez-vous. Carmen Chabardès est un jeu qui ne manque pas de charme. Pour tout vous dire, c’est même un excellent jeu, très inspiré, remarquablement bien écrit, soigné, sensible, crédible, humain. Ça m’a retourné émotionnellement et rendu à la vie civile avec un sérieux blues… ce qui pourtant ne m’arrive jamais, enfin pas depuis Just a Little Lovin.
Commençons par le commencement. Nous sommes accueillis vendredi soir dans une demeure campagnarde qui va bientôt figurer la maison familiale des Chabardès. Lucie et Vincent, nos organisateurs, nous invitent, après un rapide repas, à procéder au premier atelier.
Carmen Chabardès, comme on pouvait s’en douter, est un jeu qui exploite les fameux “workshops” que nos voisins nordiques apprécient tellement. Là, il s’agit de travailler sur les personnages. A ce stade, nous avons une idée assez précise de qui ils sont mais nous ne savons pas encore lequel nous allons interpréter. On remet donc à chacun le nom de son personnage et la mission de donner une description de sa personnalité, telle que nous la comprenons. Autant dire qu’il est nécessaire d’arriver sur ce jeu avec une bonne connaissance de la fiche collective qui décrit la famille et ses membres.
Le premier joueur s’exprime donc. Il jouera le patriarche. Il décrit ce qui, selon lui, fait les traits de personnalité majeurs de cet homme. Les autres joueurs, ensuite, font de même, toujours à propos du patriarche. De cette façon, la personnalité est construite en commun, chacun nourrissant le sujet de ses propres idées et bâtissant une excellente conscience globale de qui en pense quoi.
Puis, chaque joueur, à son tour, donne sa vision de son personnage, qui est complétée par les autres.
Le processus est long mais force est de reconnaître qu’il est redoutablement efficace. À l’issue, notre compréhension de la nature de la famille Chabardès et du fonctionnement des relations entre ses membres est remarquable et, plus important peut-être, conçue pour une grande part en commun, et donc pleinement acceptée.
Un autre atelier rapide, sur le deuil, puis nous allons nous coucher. En effet, le jeu ne commencera que samedi matin, de bonne heure évidemment, nous sommes chez les Chabardès.
Samedi matin, donc, ça commence. La mise en place est gérée très efficacement par Lucie et Vincent, qui au coup d’envoi disparaissent. On ne les verra pratiquement plus pendant toute la phase de jeu. C’est d’ailleurs un point sur lequel je souhaite m’attarder. Ce jeu met en scène plusieurs moments de la vie des Chabardès, sur une période de 23 ans. Au début de chacune de ces scènes, les organisateurs nous remettent un texte relatif au moment que nous allons vivre puis disparaissent dès le coup d’envoi. Nous jouons à chaque fois de façon complètement autonome. Il n’y a pas d’arbitre, pas d’organisateur pour répondre à d’éventuelles questions, mais de toute façon il n’y a pas de questions. Tout est parfaitement clair. Ce fonctionnement assez particulier fait que, pour un jeu pourtant très scripté, nous avons une étonnante sensation de liberté d’action.
Je crois important de signaler, d’ailleurs, que nous avons tous été, à un moment où un autre, peinés à la pensée de nos orgas, nous offrant un jeu aussi riche et bien balancé mais ne pouvant même pas jouir de nous voir évoluer. Il y a quelque chose de très généreux dans cette démarche.
Bref, le jeu commence et c’est la plongée dans l’univers de la famille Chabardès. Les tensions sont présentes mais jouées de façon modérée et réaliste. L’autorité du patriarche et de ses filles est palpable sans être exprimée de façon éclatante. Les petites humiliations sont toujours polies, l’affection que les uns portent aux autres est pourtant palpable et l’amour, même, prend vite sa place dans ce tableau. Tout est merveilleusement bien dosé. On se prend très vite à aimer ces gens, à les trouver touchants, indispensables. Et du coup, bien sûr, le deuil, bientôt, n’en est que plus odieux.
Carmen Chabardès n’est pas un jeu de romance amoureuse, mais c’est un jeu où l’on aime. On l’aime cette famille et on la déteste en même temps. Et n’est-ce pas précisément ce qui fait une famille, ce curieux mélange d’affection inconditionnelle, de petites irritations et de rancunes tenaces ?
Carmen Chabardès est un jeu où l’on souffre. N’espérez pas trop pouvoir le traverser sans verser quelques larmes, tant le départ des uns et des autres, même ceux qu’on a pourtant maudis juste auparavant, est une épreuve.
Carmen Chabardès est un jeu beau, poétique et émouvant. Vous le quitterez peut-être triste et épuisé mais plein de bienveillance et d’affection, convaincu d’avoir participé à quelque chose de rare.
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Crédits photo : Lucie Choupaut, Vincent Choupaut
Le retour de l’auteur après la première session
Le site de l’association eXperience : http://experiencegn.jimdo.com/
Pascal MEUNIER
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27 avril 2015 at 17 h 45 min
Belle critique, merci Pascal !
30 avril 2015 at 16 h 24 min
Merci pour cet excellent retour de jeu!
A te lire, on dirait que vous avez glissé dans un roman de Maupassant ou de Balzac. Ce qui ne m’étonnerait qu’à moitié quand on connaît les auteurs du jeu. 🙂
6 mai 2015 at 12 h 40 min
L’auteur en fait, je l’ai écrit toute seule comme une grande celui-là (l’aide apportée par Vincent et Baptiste a été au niveau de la relecture et de l’organisation) 🙂
25 mai 2015 at 13 h 57 min
Je relis ce retour et je retrouve très exactement dans les mots de Pascal ce que j’ai pensé à la fin du jeu. Encore merci et bravo, Lucie.