Ludopathes
L’effet Bleed désigne la porosité possible entre l’univers de jeu et la vie réelle : si vous êtes réellement claustrophobes et que vous vous retrouvez confiné dans un espace réduit en jouant votre personnage, votre personnage risque de paniquer. Cet apport extérieur s’appelle du Bleed-in. À l’inverse, le Bleed-out, c’est ce qui impacte votre vie réelle et qui provient du vécu de votre personnage.
Le Bleed c’est la constatation de notre pratique de la schyzophrénie ludique, qui consiste à dresser des paravents entre qui nous sommes réellement, et qui nous jouons à être. Cette démarche est purement intellectuelle car en fait, nous restons l’unique et même personne.
Ce concept a le grand mérite de nous interroger et de renseigner les orgas sur nos limites. Ces limites sont relativement aisées à fixer quand il s’agit de troubles de la santé ou du comportement, mais bien plus complexes en ce qui concerne d’autres aspects psychologiques et/ou sociaux susceptibles de nous affecter. Seule l’expérience et/ou une thérapie peuvent nous amener à découvrir les conditions dans lesquelles nous fonctionnons correctement, et celles qui peuvent perturber ce fonctionnement.
L’enfer c’est l’autre
Ne nous le cachons pas plus longtemps, nous débarquons tous en GN avec l’intégralité de nous-mêmes, le meilleur, comme le pire. De là à dire que le bleed en GN, activité de groupe et donc sociale, est collectif, permanent et plus ou moins contrôlé, il n’y a qu’un pas.
Certains types de jeu ou d’organisation favorisent la limitation de ses effets, d’autres, au contraire, les exacerbent. C’est le cas, à mon sens, des mass larp et c’est loin d’être étonnant :
– Trop de joueurs à accompagner qui se sont créés leurs personnages, démarche fascinante si l’on finit par éviter le piège de créer son moi idéal, son alter égo fantasmé.
– Beaucoup de règles incitant à la compétition, que cette compétition se manifeste lors des affrontements en jeu, où l’efficacité prime souvent, ou lors de phases de méta-game de gestion/développement/conquêtes.
– Un modèle privilégiant la fidélisation des joueurs via des GN à suite.
– Beaucoup d’attente des joueurs entre les GN et parfois la possibilité d’échanger sur forum, alors que ces GN suscitent un fort investissement affectif et émotionnel.
– À ces longs mois d’attente se cumule donc l’effet du jeu en lui même : la frustration possible que les choses ne se déroulent pas comme prévu, la fatigue qui s’accumule sur plusieurs jours et plusieurs nuits, tous les ingrédients du drame social sont réunis…
Hygiène de jeu au bistrot du coin
Chacun ses recettes pour limiter le bleed, pour ma part, j’ai comme principe inébranlable de partir en GN seul, au moins en posture ; même quand je pars en GN avec ma femme et/ou des amis, je pars dans l’optique de jouer mon personnage, et non d’entretenir notre relation réelle dans le jeu. C’est en jouant pour mon plaisir que je suis le mieux à même de partager du jeu avec les autres. Pour le dire autrement, plus je m’amuse, plus j’envoie du jeu.
Dans les faits : je ne m’intègre plus dans des modes de gestion en groupe des repas, vaisselles, etc, préférant ma liberté de mouvement et de choix du moment ; je ne m’occupe pas de gérer les états d’âmes de mon entourage ; je ne joue pas avant le jeu, ni sur forum, ni ailleurs ; je ne fais pas de plans sur la comète ; je n’attend pas qu’on me donne du jeu pour en donner et je n’attends rien en particulier des organisateurs ; enfin, je fais ce que je peux avec le reste, que ça vienne de moi ou pas…
L’ouverture aux autres passe avant tout par une préoccupation de soi et cette préoccupation se nourrit de la relation aux autres. C’est ce qui nous anime et nous garde en mouvement. Ce moteur tourne à plein régime dans la relation entre personnages.
Let it bleed
Il y a du coup beaucoup de choses à dire sur les conditions limitant le bleed ou mieux, utilisant intelligemment le bleed pour améliorer l’expérience de jeu, mais ce n’est pas le propos de ce texte.
Continuons à apporter du carburant à notre petit moteur et à boire des coups en refaisant les mondes du GN. Santé !
Cédric LHOMOND
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25 mars 2015 at 8 h 51 min
Serial Bleed est une marque déposée par la Serial Company.
Après le passage de nos avocats, il ne vous restera même plus votre Serial slip.
25 mars 2015 at 9 h 31 min
Tout d’abord, merci de faire un texte sur le bleed, il n’y en a pas assez.
Malgré un chouette début, j’ai du mal a bien saisir le propos du texte surtout qu’il fait référence au bleed in et bleed out dans sa première partie pour ensuite ne faire plus référence qu’au “bleed” tout court, ce qui rend le tout un peu confus.
Par exemple ce que le mass larp exacerbe ou limite les effets du bleed in et ou du bleed out ? Ou les deux ?
Et concernant la partie hygiène de jeu, on parle du bleed in ou out ?
Les solutions trouvées me semble à développer car pronant par exemple un certain individualisme de jeu, sans en expliquer la raison (Même si je suis d’accord que le fait projeter les relations de couple dans le jeu n’est pas une bonne idée)
Quid également de la suppression du jeu hors session,pourquoi cela peut limiter le bleed, j’aurai plutôt dis l’inverse ? (Et encore une fois lequel ?)
Je sais que la critique est facile, l’art (ici d’écrire) difficile, mes remarques n’ont pas pour intention de basher mais de pousser à approfondir ces questions dans les commentaires, étant très intéressé par la question (Et si ca se trouve, je suis complètement passé à coté du texte)
25 mars 2015 at 13 h 55 min
Salut et merci pour les retours !
Bob, tes avocats ont déjà pris contact avec moi, l’audience est pour bientôt… 🙂
Tilleul, ta critique est justifiée 😀
Ce texte a été écrit d’un jet pour l’ÉDITHON, le but était d’une part de mettre par écrit un retour d’expériences et de ressentis, et d’autre part de susciter le genre de commentaires que tu as écrit. Je vais tâcher de préciser quelques points suite à tes remarques :
j’ai cité bleed in et out dans le but de faire prendre conscience de ces deux aspects du bleed, mais c’est bien le bleed “générique” qui m’intéressait. Je pense aussi qu’à mon modeste niveau de réflexion, les deux types de bleed se confondent presque, l’essentiel étant que l’effet existe et impacte les aspects en jeu et hors jeu.
Le mass exacerbe les bleeds en général surtout par le type de création de personnages : il est plus que fréquent que les joueurs créent leur “avatar idéalisé”, ce qui réduit fortement la distance entre qui ils sont ou croient être, et qui ils jouent, ou croient jouer.
La partie “métajeu” entre les jeux n’est pas totalement en soi génératrice de bleed, cependant, l’absence de cadre et de suivi modérateur par les organisateurs (périodes, ton, durées, échéances, etc) favorise grandement les dérapages. D’autant plus qu’à travers des échanges e-épistolaires il manque 80% de ce qui fait une bonne communication.
Bref, cet écrit n’est qu’un modeste point de départ, ou une petite pierre de plus à l’édifice, visant à suciter des réactions et des participations à l’échange et la réflexion. 🙂
25 mars 2015 at 19 h 13 min
Comme Tilleul : la discussion sur le bleed est la bienvenue, mais le propos de l’article est difficile à cerner 🙂
25 mars 2015 at 20 h 23 min
Pareil, j’ai eu du mal à cerner le propos de l’article au départ, et je trouve que le titre de l’article ne reflète pas vraiment le contenu. Là dessus j’ai essayer de cerner le propos, et voilà ce que j’en ai compris.
La problématique : la trop grande émotivité qui se dégage de certains pratiquants en mass-larp (attachement exagéré au personnage, surinvestissement dans l’activité) qui peut entraîner tensions, abus et conflits. Les explications données me paraissent assez pertinentes au vu de mes (lointains) souvenirs de jeu en campagne.
Là dessus l’explication par le bleed ne fonctionne que partiellement à mon sens. Ce que je proposerais comme grille de lecture :
– Un facteur bleed-in important lié à la création du personnage par le joueur : oui, absolument. Une théorie intéressante met en valeur le fait que plus le personnage est construit par le joueur (et “close to home”) plus le bleed in est important (Hook dans McFarlane, 2012), mais limite plutôt la possibilité de bleed out (il me paraît important de garder les deux notions distinctes).
– Là-dessus, il faut aussi prendre en compte les questions de construction de l’identité vis à vis du personnage, dans la classification de Sarah Lynn Bowman (functions of rp games, 2010) qui dans ce cas relève des catégories de l'”augmented self” et “idealized self” et qui explique cette forme de surinvestissement.
– Pour finir, on peut compléter l’analyse en prenant en compte ce qui est de l’ordre de la motivation des joueurs (et qui excède le facteur bleed qui peut être une motivation, mais pas de manière systématique). Ici on retrouve à mon sens des problèmes de motivations qui ont été analysées pour le JdR sur table comme le GN, à savoir : l’évasion, la dimension sociale (partager une activité avec des proches), et l’accomplissement de fantasmes via le jeu.
Conclusion:
D’accord sur le constat, mais partiellement uniquement sur les conclusions. Si certains joueurs poussent l’investissement (affectif entre autre) trop loin, c’est une question de bleed (in) mais aussi à mon sens de construction de l’identité vis à vis du personnage, et des motivations à s’engager dans le jeu de rôle comme activité.
25 mars 2015 at 20 h 55 min
Chouette réponse très bien documentée, merci beaucoup, rien que pour ça je suis content d’avoir écrit ce billet 🙂
Mon intention (peu claire c’est évident) était de mettre en lumière le rôle que peut ou doit jouer l’organisateur de GN “en campagne” dans l’accompagnement du jeu entre les opus, par la mise en place d’un cadre et de règles de bienséance. Le risque (certes mineur) est que le jeu “sauvage” pollue des joueurs en plus des personnages.
Toute cette énergie doit pouvoir être canalisée vers le jeu lui même.
La plupart du temps c’est l’esprit “compétitif” qui conduit à ce genre d’effets.
Pour info j’ai deux ou trois autres productions du même acabit qui arrivent. Des premiers jets proposés à vos sagacités 🙂
25 mars 2015 at 22 h 12 min
Je suggérerait alors qu’il serait bon aussi de développer plus de solutions possibles à ces problèmes, en particulier du point de vue des organisateurs. Peut-être dans un prochain billet?
30 mars 2015 at 21 h 51 min
Bon, je ne peut pas comme MU citer de sources (j’ai même pas le niveau en français, vous allez le voir ;-)).
Ce que je peut apporté comme éclairage, c’est que j’ai participé a l’organisation d’une campagne historique sur le camp du dragon (mass larp 400 joueurs).
Je vais dans le sens de cedric.
Des jeux comme le camp du dragon, kando, ou Mythodea, ont dans leurs ADN la fidélisation du joueur.
Le joueur et son groupe quelque part vont progresser en termes de puissance soit par point d’expérience, soit par point de renommé, richesse en jeux etc. et en connaissance de l’univers du GN.
D’ailleurs ont vois sur ces trois jeux fleurir des inter CDD, inter-kando et inter com.
Et dans le cas du camp du dragon il y a même des petits jeux de 15-20 personnes tous l’été, qui permettent d’acquérir de l’xp, de la renommé, faire du commerces etc.
En faite on retrouve des mécanisme présent en MMORPG, mais porté en GN.
J’ai vu principalement deux attitudes de personnages en caricaturant.
Le joueur de GN qui ce comporte comme un joueurs de MMORPG. C’est pas grave si je meure, mon perso va “repoper” dans 10 minutes. Donc peut de back perso, plus un back de groupe. Et beaucoup de distance avec le perso, sa vie ce qu’il va faire. Exemple une compagnie de mercenaire.
Le joueur de GN qui s’investie dans son perso à fond, back de 10 pages, back de groupes. Généralement on commence a constaté aussi un peut de syndrome grosbills. Le groupe est une mafia, avec des persos ultra typés. Ou fils de prince, duc etc. Et la c’est le drame. Parce que quant le perso meure c’est une vraie perte. On retrouve le même phénomène que sur une table d’un jdr ou l’on explore des donjons. Parce que outre les effets d’immersion du perso, le joueur perd en puissance et en influence dans le jeux. Et comme c’est un jeu en campagne, l’impact n’est pas nul. Vous aviez réussit a conquérir le titre de conte, et bien vous repartirai au niveau de simple chevalier.
Et en plus ce phénomène est amplifié par le faite que le système de règles, de commerce et de renommé est compétitif.
Alors maintenant, on va atteindre le point de godwin du GN Français: “La faille” con 🙂
Je n’ai jamais fait la faille, anachnrone n’existait ,plus quant j’ai débuté le GN.
Mais par contre, qu’est ce qu’on peut me les C…. les C….. menue avec 🙂
(je pense pouvoir faire un article complet sur electro-gn expliquant pourquoi la faille c’est le point de godwin du GN français)
J’ai un pote qui me parle encore de la mort de son perso, qui je le pense en veut encore aux joueurs (oui xav c’est toi ;-))
Et la on a un peut tous les ingrédients que j’ai cité, le jeu en campagne, l’évolution en puissance, l’importance que le personnage acquière dans le jeu et le drame de la perte du perso.
Au final, et la je vais dire un truc qui va faire que la communauté du gn va me tomber dessus:
Quant vous allez en mass larp (ou sur un gn de plus de 300 joueurs), faite du MMORPG et considéré que votre perso est jetable.
Vous verrez ça ira mieux.
Vous ne souhaitez pas vous comporter en GN comme si vous étiez en MMORPG, et bien n’allez pas en mass larp. Faites d’autres types de GN vous allez être déçut.
1 juin 2015 at 10 h 09 min
Pour ma part, Cédric a dit l’essentiel (qu’on oublie trop souvent) :
“Ne nous le cachons pas plus longtemps, nous débarquons tous en GN avec l’intégralité de nous-mêmes, le meilleur, comme le pire. De là à dire que le bleed en GN, activité de groupe et donc sociale, est collectif, permanent et plus ou moins contrôlé, il n’y a qu’un pas.”
Je fait le pas. La question n’est pas “quand, comment et pourquoi le bleed apparait” mais plutôt “comment le limiter au maximum.”
Le bleed est un phénomène inhérent à la pratique du Grandeur Nature / Huis Clos. Le nier, c’est ne pas en prendre conscience et plonger tête première dedans (aussi bien avec le bleed-in qu’avec le bleed-out).
Comme Cédric, je crois qu’il est essentiel de le limiter au maximum. Pour se faire, difficile de répondre de manière collective ; c’est à chacun de trouver des techniques et astuces qui lui est propre. Il y a une telle diversité dans la psychologie humaine qu’il serait vain de faire une liste à la Prévert de toutes les possibilités. Chacun ne peut parler que pour lui même. Et c’est ce que fait Cédric.