Les Canotiers de Santeuil

Publié le jeudi 18 décembre 2014 dans Critiques de GN,Slide

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… ou le temps retrouvé

 

Au fil de l’eau from Skimy on Vimeo

Mise en ambiance vidéo réalisée par les organisateurs et disponible sur le site du jeu http://canotiers.forumactif.fr/

GN conçu par les Francs Papillons et porté par les Amis de Miss Rachel

Avec le concours de Rôle, le Miam

20 au 22 juin 2014

Beaulieu, Loir-et-Cher

32 joueurs

Déflorer la dame aux camélias ?

Il m’aura fallu 6 mois pour enfin poser sur le papier les réflexions nées de ma participation à ce jeu. Les Canotiers de Santeuil sont en effet un petit objet ludique fragile, sensible et délicat. Et méritent qu’on prenne un peu (beaucoup ?) de temps pour en établir une critique, ou plutôt un portrait, voire une évocation. Afin de respecter le temps particulier de cette parenthèse, sans brusquer, sans acclamer, sans trahir le caractère profondément modeste et généreux de cette création atypique. Vous l’aurez compris, le temps est passé et je suis toujours sous le charme de ce jeu. Les lignes qui vont suivre s’efforceront donc de dire ce qu’il n’est pas, pour préserver un peu du mystère l’entourant, tout en soulignant les grandes qualités de ce jeu, éventuellement en formulant quelques réserves à son sujet qui ne remettent absolument pas en cause tout le bien que j’en pense.

Lac

Un dimanche au bord de l’eau

La première réussite des organisateurs est d’avoir tenu leur promesse : après avoir pris connaissance de leur déclaration d’intention, des esprits méfiants pourraient être tentés de penser, voire d’espérer, que le jeu recèle des surprises tant le programme paraît calme, transparent et sans enjeu plus grand que l’élection d’une reine de beauté dans un village rural. Il n’en est rien. Aucun zombi à l’horizon, pas d’enquête occulte à la Maléfices, jeu de rôle Belle Époque, pas de nazis, pas de traître. Rien.

D’autres esprits rompus aux codes du GN Romanesque pourraient s’attendre à une densité inavouée de drames familiaux, tragédies personnelles, amours impossibles, enfants échangés et autres révélations particulièrement lacrymogènes qui guettent à l’ombre des jeunes filles en fleur. Là non plus, rien à attendre. Les personnages qui peuplent ce dimanche à la campagne ont bien sûr quelques petites contrariétés, quelques sentiments qui attendent de pouvoir s’exprimer, un ou deux malentendus à dissiper, mais rien d’excessif. Surtout, leurs vies ne se résument pas en d’interminables backstories qui se dénouent brusquement, dans le sang et les larmes, toutes le même jour. Nous sommes ici en présence de personnages normaux, dont les préoccupations s’inscrivent dans des vies normales. Et comme dans une vie normale, certaines préoccupations passent après un verre de vin blanc, une partie de pétanque ou une sieste.

Et ça, ça fait du bien.

En résumé, sur le contenu du jeu, je ne peux vous renvoyer qu’à la déclaration d’intention consultable sur le site du jeu, elle est parfaitement honnête voire transparente. N’en attendez rien de plus.

Déjeuner

Déjeuner sur l’herbe

Les organisateurs ont donc en tout point tenu leur promesse de jeu. C’est honnête, mais c’est aussi et surtout très courageux. Les personnages et les intrigues proposées sont peu denses et une compréhensible « peur du vide », une crainte que les joueurs ne s’ennuient, aurait pu pousser les auteurs à remplir davantage le jeu. Ils s’en sont gardés et il faut les féliciter.

Le jeu est relativement court (une longue journée et une soirée), mais suffit largement à faire vivre à chaque personnage ce qu’il peut vivre (en termes d’intrigues). Cette faible densité laisse chaque joueur maître de son propre destin. Aucune urgence ne préside à des conclusions d’intrigues précipitées. Aucune tension ne force à trier des priorités, faire des choix cornéliens. Aucune pression n’est exercée sur les joueurs. Le jeu se déroule lentement. Le temps se savoure. Les rares événements planifiés sont connus de tous, et distants dans le temps. Entre-temps, chacun a le temps, le loisir et la capacité de dénouer (ou non) ses intrigues, en douceur. Chacun peut choisir quand et comment mettre en scène le point culminant de sa propre trajectoire, généralement dans l’intimité, en exploitant le lieu du jeu, les décors naturels, le calme.

Drapeaux

Faible densité ne signifie pas pour autant un jeu creux, trop peu écrit : la dimension des intrigues est parfaitement adaptée au jeu et l’impact dramatique des intrigues existe bel et bien. Il est en revanche à l’échelle des personnages et propose des situations crédibles, sans aucun sensationnalisme. Un couple qui se sépare, un autre qui se retrouve, des histoires de famille, la reconnaissance par sa communauté sont – parmi d’autres – des enjeux très structurants et qui permettent, tout autant que le soin apporté à l’évocation d’une époque, de se glisser aisément dans la peau des personnages et de vivre pleinement le moment en parfaite immersion.

Soulignons enfin que les intrigues sont simples et cohérentes. Elles n’impliquent généralement que deux voire trois personnages, qui pourraient être bouleversés par certaines conclusions, sans pour autant verser dans le mélodrame ni perturber le déroulement de la journée pour les autres personnages. Elles ne s’épanouissent pas dans l’hystérie, le bruit, la révélation fracassante ou un autobus de personnages spontanément formé pour vaincre une menace mondiale : il n’y a décidément rien de tout ça à Santeuil.

Raquette

Il reste donc beaucoup de temps pour faire autre chose : chasser les papillons, faire une promenade en barque, pique-niquer, jouer au tennis ou aux boules, boire un verre de vin blanc ou peindre. Et c’est là que la magie opère : le lieu du jeu, enchanteur, la candeur communicative des organisateurs amplifient les efforts accomplis pour respecter les intentions annoncées du jeu. Celui-ci cesse bientôt d’être un GN, en tout cas pas « que » un GN. Les Canotiers de Santeuil participent davantage d’une évocation esthétique que d’un GN traditionnel. Ils ne sont pas non plus une reconstitution historique, malgré un vrai souci du détail, car ce dimanche à la campagne en 1908 emprunte moins à l’histoire qu’à la peinture, la littérature et le souvenir inconscient, voire le fantasme d’un « bon temps » révolu mais bien vivant. Le tout, et c’est également un coup de maître, sans tomber dans la nostalgie ou la mélancolie.

Naïf, mais pas idiot

Oui, ce jeu est naïf, c’est même annoncé et assumé dans la déclaration d’intention, à laquelle je vous renvoie une fois de plus. Ce n’est ici pas un défaut, tant l’ensemble des composantes du jeu (site, personnages, pnj, événements, activités possibles, ambiance/mise en scène, quelques rares utilisations de méta-techniques particulièrement bien senties) converge pour atteindre ce résultat. Cette même déclaration d’intention évoque la légèreté, une parenthèse bucolique, la douceur de vivre et l’insouciance.

Rires

Naïf, donc, mais pas idiot. Léger, certes, mais pas vain, bien au contraire : ce jeu nous rappelle aussi combien la vie peut être douce dès lors qu’on parvient à s’extraire de l’urgence, de la peur, du besoin. Le jeu exalte des sentiments positifs : l’amitié, l’amour, le partage, la compassion, sans angélisme, sans se faire non plus moralisateur. En filigrane, il traite également avec bienveillance de la distance entre ville et monde rural, entre classes sociales aussi, à la manière d’un Maupassant – plutôt d’un continuateur plus modéré.

Malgré son absence totale de prétention, c’est un jeu qui réussit à dépasser le strict divertissement pour atteindre une magie unique. En douceur, sans bruit, dans un sourire échangé, des discussions divertissantes. Un chapeau qui s’envole et qui tombe à l’eau, des rires lointains. L’émerveillement des ondulations du vent à la surface d’un petit lac.

Brin d'herbe

Pour peu qu’on comprenne, qu’on adhère à la promesse de ce jeu, qu’on la respecte, les Canotiers de Santeuil vous offriront cette parenthèse enchantée. C’est là une première réserve à émettre : l’honnêteté de chaque futur participant envers lui-même et envers le jeu conditionne pour beaucoup le succès d’éventuelles futures éditions. À chacun d’être sensible et responsable au moment de s’inscrire puis jusqu’à la fin du jeu.

Seconde réserve : une grande partie de la magie du jeu repose sur la puissance évocatrice des décors du jeu, essentiellement des paysages. Il faut une journée de grand soleil et de chaleur pour profiter de ce jeu, au grand air. Une journée pluvieuse priverait les futurs joueurs de nombreuses activités extérieures. Les intrigues pourraient survivre à la pluie. Mais pas l’émerveillement.

Or, c’est bien l’émerveillement qui vous guette à Santeuil, au bord de l’eau.

Un grand merci aux Francs-Papillons   <3 <3 εÏз

 

Seule

Crédit photos : Renaud Chaput

www.renaudchaput.fr

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Bross

Je joue et organise depuis 1994, avec un souhait militant de variété et de renouvellement des expériences ludiques.

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5 réactions à Les Canotiers de Santeuil

  1. Original !

  2. Rien à redire, c’est exactement ça…

  3. Une belle parenthèse pour une idée qui semble aboutie.

  4. Merci pour cet article. Quel superbe jeu !

  5. Rien à corriger, juste deux plussoiements :
    – Je n’ai lu que quelques personnages en plus du mien, mais l’écriture porte parfaitement l’ambiance et conditionne très favorablement les joueurs à ce qu’ils vont vivre, à cette douceur.
    – Si sur certains GNs les “loisirs” sont quelquefois des moyens de tromper l’ennui ou la vacuité, ce n’est absolument pas le cas ici. Ou comment passer une heure et demi, seul ou presque au bord du lac, à peindre sans jamais sortir de son personnage…

    Ouaip : il y a de l’âme dans ce jeu…

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