II. Le projet
Liste des feedback :
Association Amalgame : Asylum, 70 personnes pas de PNJ, 2 jours et 3 nuits. Soit près de 60 heures de jeu non-stop. Institut psychiatrique. 5 pages de règles dont près de la moitié sont des règles médicales.
Association A3DL : L’envers du décor, 12 joueurs, 1 jour / 1 nuit – Institut psychiatrique
Association Au chaudron penché : Durmstrang, 61 joueurs et 10 PNJ, 1 jour et demi, 2 nuits, , Harry Potter – école
Association Clepsydre : de mon ennemi la perte, 1 jour + soirée + 2 nuits 100 joueurs, 15 PNJ. Univers carcéral. De la même association, on peut également mentionner le GN Archomancie (Harry Potter, école)
Association Le 5ème éléphant :
– GN Studio Bloodywood, 60 joueurs, 1 jour et demi et deux nuits. Studio de cinéma
– GN HP2, 110 joueurs, 4 orgas, 2 jours 2 nuits, thèmes adultes – Asile psychiatrique
– GN Rijker, 60 joueurs, 3 j / 3 nuits, thèmes adultes – Carcéral
Association eXperience : Dr House, 4 joueurs, 3 heures. Hôpital
Association RAJR : Beauxbâtons, 50 PJ, 20 PNJ, 8 orgas. Harry Potter – École
Association Tohu Bohu : La Machination, 60 PJ, 25 PNJ, 6 orgas, 2 jours 2 nuits. Micro société totalitaire (entre 1984 et Pratchett)
D’autres jeux auraient pu intégrer cette liste, avec toutefois des risques de spoiler. À noter que j’ai eu la chance de jouer sur la plupart de ces jeux. Vous pouvez retrouvez la critique ou la preview de certains d’entre eux sur Electro-GN.
2.1 Surveiller et punir !?
L’école (avec les Harry Potter), la prison et l’hôpital psychiatrique figurent en haut de la liste des idées les plus exploitées. Michel Foucault serait ravi de l’intérêt que nous portons à ce type de structures ! Plus sérieusement, nous avons là affaire à un type particulier d’organisations :
– On parle d’institutions totales pour désigner les organisations fonctionnant presque en vase clos, et régulant la plupart des aspects de la vie de leurs membres. L’armée en est un très bon exemple.
– On parle d’institutions totalitaires pour désigner des institutions totales qui enferment une partie de leurs membres. Ce n’est évidemment pas le cas de la plupart des écoles, mais bien des prisons ou des asiles psychiatriques.
Je vous renvoie aux travaux fondateurs de Cressey sur les prisons ou de Goffman sur les hôpitaux psychiatriques pour plus de détails sur ces organisations.
Expliquer l’attrait pour ce type d’organisation n’est pas simple. Il peut être révélateur d’un certain désir de contrôle de la part des organisateurs, tout autant que de l’envie de plonger les joueurs dans une ambiance oppressante, dans laquelle le jeu découle de l’opposition entre différents groupes de joueurs (les uns étant oppressés, ou administrés par les autres). Nous reviendrons très bientôt sur ce qui peut motiver l’organisation de ce genre de jeux, qui tiennent à la fois de l’expérience sociologique et de l’expérience ludique.
L’important, pour l’instant, est de souligner que chacun de ces cadres propose des éléments de jeu uniques, qui les distinguent d’autres ambiances moins contraignantes :
– L’École, que ce soit dans l’univers d’Harry Potter ou dans un autre, met en place des cours, qui peuvent être conçus comme des moments purement ludiques, mais aussi avoir un intérêt pour le scénario.
– L’Hôpital psychiatrique, plus souvent joué que de simples cliniques, offre l’opportunité à certains joueurs d’interpréter la folie dans un cadre adapté, et à d’autres de se livrer à toutes sortes de soins.
– La Prison augmente d’un cran le niveau de surveillance, avec le côté excitant que peuvent avoir les rondes chez les uns et les velléités de fuite chez les autres.
Dans les 3 cas, vous avez une structuration des relations entre encadrants et encadrés, administrateurs et administrés, qui est d’une richesse incroyable.
2.2 Problématique : varier les ambiances (sortir de l’école / de la prison / de l’asile)
Il existe une quantité d’autres possibles :
– Un vaisseau d’exploration. Déjà vu en GN, parfois à l’échelle des joueurs tout entier (le GN Battlestar Galactica), parfois à l’échelle d’un groupe seul (sur le GN Princess Paradise, seule une partie des joueurs jouaient les membres d’équipage).
– Un chantier d’archéologie. Déjà vu en GN. Je pense à des jeux comme la Nécropole Maudite ou 7 heures au Tibet. Dans ces deux exemples, cependant, il est assez peu question d’archéologie. Le premier est un huis clos d’ambiance, le second un jeu d’aventure un peu pulp.
– Un hôpital. Déjà vu en GN, mais généralement réservé à une partie seulement des joueurs. Il est rare que les joueurs y travaillent vraiment, et sur toute la durée du jeu. L’exemple le plus frappant est le huis clos la mort s’habille de blanc, où une bande de personnages assez hétéroclite se retrouvent dans une clinique, et où il n’est question de médecine qu’une dizaine de minutes. Ici, l’hôpital ne sert que de toile de fond.
Une série comme M.A.S.H nous donne un bon exemple de cadre hospitalier (un hôpital de campagne au Vietnam) fonctionnant comme une matrice scénaristique. En fait, sur certains jeux il y a tellement de blessés, de malades et de crises qu’un hôpital pourrait se monter sans que les joueurs ne s’y ennuient une seconde !
– Un commissariat de police. Déjà vu en GN, mais souvent joué par une poignée de joueurs au sein d’un ensemble plus vaste. Ce fut notamment le cas sur le Terreur à Arkham. À noter que les forces de l’ordre, lorsqu’elles sont là pour réguler le jeu, sont souvent confiées à des PNJ ou à des orgas.
– La rédaction d’un journal. Là encore, le journaliste est un concept de personnage fréquent, souvent isolé au sein d’un jeu plus vaste. Souvent conçu par les organisateurs comme un point nodal de circulation des informations pour les autres joueurs, il exécute souvent son travail seul, parfois en compagnie d’un ou deux autres joueurs, souvent à mi-temps, et avec généralement peu de moyens. Ces joueurs ont parfois la responsabilité de faire paraître une ou deux éditions de leur journal pendant le jeu. À quand un GN à l’échelle de la rédaction d’un journal ?
– Un laboratoire. Cadre plus exotique, bien que l’on ait pu voir ce genre de structure au sein de GN plus large.
– Une usine. Là encore, le cadre est assez inhabituel, surtout à l’échelle d’un jeu entier. Il est également assez rare que l’on propose à ces joueurs d’exécuter effectivement leur métier.
Citons d’autres cadres rarement mis en scène en GN et qui présentent pourtant un grand potentiel, comme un grand restaurant, une caserne de pompier, une écurie de F1, la bourse, etc.
2.3 Des motivations variées
Constat :
Commençons par le commencement, à savoir l’éclosion du projet. Il est peu probable que vous vous leviez un matin en vous disant “je vais créer un jeu se déroulant au sein d’une organisation”. Plusieurs raisons peuvent cependant vous amener à cette solution.
– Créer une ambiance : vous voulez créer une ambiance particulière. Par exemple, une ambiance oppressante (asylum, Rijker, l’envers du décor).
– Faire exercer un métier : vous voulez donner à vos joueurs les moyens d’exercer une profession (Bloodywood et Dr House) : le GN Bloodywood offrait aux joueurs la possibilité d’exercer différents métiers du cinéma et de réaliser un court-métrage sur le jeu. Dans le GN Dr House, vous tâchez de sauver la vie d’un patient en faisant votre travail de médecin au moyen d’un système de diagnostic élaboré par les organisateurs.
– Adapter un univers : vous avez à cœur d’adapter un univers particulier. Cet univers de référence peut être de votre cru, comme dans le cas du GN Clepsydre, de mon ennemi la perte, qui se déroule dans l’univers de campagne du Haut royaume, créé par l’association. Toujours dans le domaine des jeux en campagne, on peut mentionner le 3ème opus du GN médiéval de l’association Urbicande libérée, qui se déroulait dans une maladrerie pendant une épidémie de peste. Votre univers peut également être “emprunté”, dans une logique transmédia. Ainsi les GN Archomancie et Beauxbâtons, respectivement organisés par Clepsydre et RAJR, se déroulent dans les célèbres écoles de l’univers d’Harry Potter.
À noter que l’univers de référence peut proposer lui-même une histoire en institution. Les épisodes du Dr House mettent en scène des médecins dans un hôpital, et c’est précisément ce que proposent les organisateurs du jeu Dr house. Vous pouvez également déplacer l’action de l’univers de référence au sein d’une institution. Le GN Rijker, qui se déroule dans l’univers de Warhammer, propose comme cadre une prison. Le GN Sainte mangouste se déroule dans l’univers Harry Potter, en déportant l’action de l’école vers un hôpital psychiatrique pour sorciers.
On le voit, tout est possible et tout nous a déjà été proposé. Plusieurs remarques à ce stade :
– Vous pouvez naturellement être animé par ces 3 envies à la fois.
– Vous pouvez, en tant qu’organisateur, avoir été convaincu par une expérience sur un jeu : c’est par exemple le cas des organisateurs du GN BeauxBâtons, pour qui le GN Archomancie de l’association Clespydre, a été une source d’inspiration.
– Vous pouvez prendre goût à ce genre de cadres ! Certaines des associations dont je traite (Amalgame, Le 5eme éléphant, Clepsydre) ont réalisé plusieurs GN de ce type, comme si le format et l’expérience les avaient convaincus.
– Quel que soit ce qui vous y amène (créer une ambiance, faire exercer un métier, adapter un univers), vous allez plonger vos joueurs dans une institution. Dès lors, votre responsabilité est de poser clairement vos objectifs et de faire vivre cette expérience particulière à vos joueurs. Il n’y a pas de motivations plus illégitimes que d’autres, mais des façons plus ou moins élégantes de les concrétiser.
Allez, on passe aux choses sérieuses !
2.4 Difficultés d’organisation ?
Constat
Ces jeux sont-ils plus faciles à concevoir et à organiser ? Les feedback me poussent à donner à cette question une réponse de normand.
– Ces jeux sont plus généralement faciles à concevoir puisque votre cadre est tout trouvé. La vie de l’institution vous fournit de facto des repères qui sont autant d’éléments de jeu. La nature de l’institution vous donne un série de profils de personnages, le type de relations qu’ils peuvent entretenir, etc. Si, en outre, vous vous inspirez d’une fiction particulière (comme Harry Potter dans le cas du GN Sainte Mangouste ou l’univers du Haut Royaume dans le cas d’Archomancie), votre jeu dispose à la fois d’un univers et d’un thème. Vous pouvez ensuite utiliser les logiques d’écriture et de scénarisation propres à vos autres GN. Ainsi, ces jeux peuvent être plus faciles à concevoir ET à organiser.
– Ce n’est cependant pas toujours vrai. Dans certains cas, ces jeux peuvent être plus difficiles à organiser : le volume d’aides de jeu à créer pour faire exister l’institution peut être très important. Selon le cadre choisi et votre niveau d’exigence, vous pouvez également avoir un travail assez lourd au niveau des décors et des accessoires. Cela a notamment été le cas pour le GN carcéral Rijker, pour lequel les orgas ont aussi bien lutté pour adapter le site à leurs besoins que pour rédiger des masses de documents juridiques utiles au jeu.
Dans le cas du Dr House, il aura fallu travailler à la fois sur les règles de l’hôpital (qui fixe les rapports entre les gens, la circulation dans l’espace) et sur les règles médicales, qui permettent de simuler le diagnostic du patient. Pour le dire autrement, il a fallu établir les règles de l’institution en même temps que les règles de simulation du diagnostic médical.
– Ces jeux peuvent enfin représenter un challenge complètement différent : certains organisateurs ont plutôt présenté leur expérience comme une démarche totalement différente, un exercice de style rafraîchissant mais aussi peut-être plus exigeant, car mobilisant des compétences rarement exploitées en tant qu’orga (nouveaux défis, nouvelles problématiques, etc). Le GN Dr house, par exemple, a consisté en la création d’un système de règles médicales sur lequel a été greffé un scénario. Aucune fiche de personnage n’a été rédigée.
Note : l’avantage de créer des systèmes de règles ou de sous-systèmes de règles spécifiquement pour un jeu est qu’ils peuvent être réutilisables sur d’autres jeux. Le temps passé à ce travail peut donc être rentabilisé (le système médical du Dr House, le système de réputation du Rijker).
2.6 Scénario / intrigues / événementiels : où placer les curseurs ?
2.6.1 Scénario
Constat :
Il existe, en matière de scénarisation, un continuum de solutions allant de jeux peu scénarisés aux jeux très scénarisés : ce fut le cas du Dr House ou de L’envers du décor. À noter que ce sont là deux formats courts.
Sans surprise, les GN en institution accueillant plus de joueurs semblent miser davantage sur l’ambiance que sur le scénario. Des jeux comme le Asylum d’Amalgame, le Studio Bloodywood du 5e éléphant ou le carcéral de Clepsydre, accueillent tous les 3 plus de 60 joueurs et reposent sur la routine et le fonctionnement ordinaire de l’institution.
Entre ces extrêmes, tout semble possible. Le GN carcéral Rijker, par exemple, articule un jeu diurne faiblement scénarisé, très axé sur la routine, et un jeu nocturne scénarisé.
Problématique : scénariser un jeu en institution. Une bonne idée ?
(scénarisé vs routinier)
Un jeu en institution peut largement reposer sur le fonctionnement ordinaire de l’institution. C’est le choix fait par certaines associations. L’institution fournit toutefois une unité de lieu, de temps et d’action qui représentent des conditions importantes pour supporter un scénario !
On peut effectivement, comme dans n’importe quel autre univers de jeu, proposer aux joueurs un scénario. Si c’est votre démarche, procédez méthodiquement :
– Posez clairement la structure narrative : ordre / désordre / retour à l’ordre (qui dépend de l’action joueurs)
– Il convient de penser votre organisation comme un personnage : l’organisation est menacée dans son fonctionnement et / ou l’accomplissement de ses objectifs. Quel est le fonctionnement ordinaire de l’organisation et quels sont ses objectifs ? Qu’est-ce qui peut les perturber ou s’y opposer ? Par quels moyens les membres de l’organisation peuvent-ils surmonter les obstacles ?
– En fonction du cadre de votre jeu, des choix plus ou moins évidents de scénario principal se présentent : une grève pour une usine, une épidémie pour un hôpital, etc.
Prenons le cadre d’un hôpital dans une métropole. Son but est de remettre les gens sur pied et chaque membre, dans sa spécialité ou son département, s’y attache. Une épidémie se déclenche, qui dégénère rapidement en pandémie. L’hôpital est submergé. Des centaines de personnes infectées affluent et risquent d’y passer. L’hôpital n’est pas préparé à cette situation de crise, d’autant que le virus résiste aux médecins. Le service des urgences doit gérer la marée humaine. Les diagnosticiens doivent identifier ce virus, le laboratoire synthétiser assez de remèdes, tandis que les administratifs sont aux prises avec les services municipaux et le 911 pour gérer tout cela. Bon courage à vos joueurs !
S’il est donc toujours possible de scénariser un tel jeu, est-ce pour autant souhaitable ?
Oui : si le scénario fait ressortir l’ordinaire ou le meilleur de votre institution.
Dans le GN Dr House, le scénario correspond à l’évolution de la maladie du patient et au drame humain qui se joue entre lui, le médecin et ses proches. Les joueurs sont bien confrontés à ce qui fait l’ordinaire des diagnosticiens dépeints dans la série.
Dans le GN carcéral de Clespydre, l’un des principaux événements de scénario est l’arrivée d’un prince dans la prison. Pour faire bonne figure, tout le personnel est sur le pied de guerre et met la pression aux prisonniers. La situation carcérale est ainsi exacerbée : on tire le meilleur de l’institution.
Non : si le scénario vient gâcher le potentiel de ce type de jeu, en chamboulant totalement les normes et le fonctionnement de l’institution. Partez du principe que vos joueurs veulent vivre l’expérience d’un certain type d’institution. Il y a de quoi être surpris, et à mon sens plutôt désagréablement, si je viens jouer un médecin dans une clinique pour m’apercevoir que le scénario m’éloigne de mon métier de médecin et qu’il transforme la clinique en site de GN comme un autre…
Les routines que vous créez dans votre organisation sont fragiles, car artificielles. Les Gnistes ont une tendance naturelle à se disperser. N’aggravez pas ce penchant par un scénario qui viendrait briser la routine. Ce fut par exemple le cas sur le jeu La machination, où plusieurs groupes de joueurs avaient des tâches administratives à effectuer pour le bon déroulement des choses. Dès lors que le scénario s’est mis en place, il a rendu impossible l’exercice de ces fonctions.
2.6.2 Les intrigues
Sur quoi allez vous fonder l’activité des joueurs sur votre jeu ? Des intrigues ou l’exercice d’une profession ?
Constat : une densité variable d’intrigues personnelles
Sans surprise, les jeux Harry Potter sont parmi les plus riches en intrigues personnelles et les plus scénarisés. Ils sont en cela fidèles au modèle de la fiction originelle et à son univers très riche. D’autant plus que le cadre est plus permissif dans une école que, par exemple, dans une prison… bref il y a un espace pour des intrigues personnelles.
Sans surprise non plus, c’est le GN Sainte mangouste qui, des 3 jeux Harry Potter de notre échantillon, repose le moins sur des intrigues personnelles. Rien d’étonnant, puisqu’il se déroule dans un hôpital psychiatrique.
Les jeux très axés sur la pratique d’un métier, comme le Dr House ou le Studio Bloodywood, fonctionnent quant à eux avec un niveau d’intrigues personnelles proche de zéro.
Problématique : quels types d’intrigues ?
On encourage : les intrigues pertinentes
Cela semble aller de soi… donc mieux vaut le rappeler : À quoi bon choisir ces cadres s’ils ne servent que de réceptacles à vos envies d’intrigues du moment. Les cadres ne devraient ni être des prétextes, ni des toiles de fond. Ils doivent constituer la matrice même de votre jeu : des règles aux personnages en passant par un éventuel scénario et, bien sûr, par les intrigues. Ne trompez pas vos joueurs sur la marchandise.
Gardons nous d’infliger à nos joueurs ces intrigues génériques et mal inspirées. Je parle de ces intrigues capillotractées, ultra coïncidentales, qui ne ressemblent ni au personnage ni au cadre de jeu, bref, à ces OVNI qui vous font passer l’envie de faire du GN. C’est du bon sens, mais vous n’avez pas forcément besoin que le directeur de l’hôpital ait tué sa femme par strangulation il y a une semaine. Le jeu du joueur sera-t-il plus amusant ? Pas forcément. Sera-t-il plus what the fuck ? Très certainement ! Une instance de divorce ferait largement plus l’affaire.
N’inventez pas une sœur mystérieusement disparue au responsable des urgences quand vous pouvez avantageusement lui trouver une intrigue vraisemblable, une intrigue qui ressemble au personnage et qu’il lui donne des perspectives d’évolution intéressantes et crédibles.
Les intrigues se réduisent à un faible nombre de situations dramatiques, que l’on retrouve dans toutes les fictions. Mais chaque fiction colore ces grandes intrigues, et celles que vous créez doivent se fondre dans l’univers de référence, s’inscrire dans la vie de l’institution, bref, être pertinentes.
On évite : les paniers de crabes
Avec le GN en institution, l’organisation et le groupe se confondent. Les objectifs particuliers des membres ne devraient pas remettre fondamentalement en cause les objectifs globaux de l’institution.
Cela est bien entendu, un présupposé. Il est non seulement concevable, mais peut-être même souhaitable que :
– Les objectifs des différents membres de l’institution rentrent en conflit. Cela ne remet pas en cause le fait qu’ils adhèrent globalement à la raison de leur présence au sein de l’institution. Ils peuvent parfaitement estimer, selon leur logique, qu’ils servent mieux l’organisation que les membres avec lesquels ils sont en conflit. Prenons l’exemple d’un hôpital dans lequel les infirmières refusent discrètement, que ce soit par conviction ou par habitude, d’appliquer un nouveau type de soin recommandé par la direction.
– Les objectifs de l’institution ne soient pas ceux de certains membres. Quelques personnages peuvent être indifférents à ces objectifs, voire même s’y opposer..
Reprenons le cadre de l’hôpital. Il s’agit d’un hôpital public qui croule sous les difficultés, et qui compte sur son laboratoire pour garder la tête hors de l’eau. Or l’un des médecins de ce laboratoire a été secrètement débauché par une clinique privée pour nuire à ce service et le pousser à la fermeture.
Ces “mauvais éléments” doivent cependant représenter l’exception plutôt que la règle. Leur présence ne remet pas en cause le fait que la plupart de ceux qui travaillent dans l’organisation cherchent globalement à assurer son bon fonctionnement. Même dans les institutions totalitaires, les enfermés n’ont pas forcément intérêt à s’opposer (en tous cas frontalement) à la structure, ne serait-ce que par peur des sanctions.
Gardez à l’esprit que toute organisation représente une matrice naturelle d’oppositions entre personnages. Je parle de matrices naturelles car elles ne reposent plus uniquement sur la psychologie des personnages, mais aussi sur leurs fonctions et leurs places respectives dans l’organisation.
Pensez à des clivages aussi simples que :
– Les chefs et les exécutants
– Les internes et les externes (ces externes pouvant être, ou non, être interprétés par des PNJ)
– Les encadrants et les encadrés
Tous ces contrastes sont féconds en termes de jeu, mais veillez à ne pas construire une usine à gaz dans laquelle les joueurs se tireraient en permanence dans les pattes. Rappelez vous qu’ils constituent un groupe dont la cohésion doit globalement être assurée.
2.6.3 Densité et nature des évènementiels
J’appelle ‘évènementiel’ toute scène anticipée et gérée par des orgas, liée ou non à la trame principale, obligatoire ou conditionnelle, nécessitant l’intervention de PNJ et / ou d’un matériel spécifique.
Constat : densité d’évènementiels
Le nombre d’évènementiels requis semble assez faible pour les milieux carcéraux et hospitaliers. Les événementiels sont naturellement plus nombreux sur les jeux à scénario complexe ou à fort taux d’intrigues personnelles (L’envers du décor, GN Harry Potter, etc.)
Problématique : nature des évènementiels
On peut en fait distinguer deux régimes d’événementiels :
– Un premier régime dans lequel vos évènementiels sont les conséquences logiques d’un scénario élaboré, et / ou de la mise en place de nombreuses intrigues personnelles (Dr House, BeauxBâtons). Ils ont alors pour fonction d’acter un progrès dans l’histoire globale ou dans celle d’un joueur en particulier.
– Un second régime dans lequel les évènementiels sont davantage destinés à faire découvrir, sous forme d’animations, le quotidien de l’institution. C’est par exemple la fonction des visites au parloir mises en place sur le jeu carcéral Rijker, ou de certains cours dans les jeux Harry Potter. Bref, vous êtes moins dans une problématique de narration que dans une problématique d’ambiance, et essayez de mettre en scène le fonctionnement de l’institution.
Nous nous pencherons dans la troisième et dernière partie sur les moyens possibles pour faire exister concrètement l’institution dans un GN.
Matthieu NICOLAS
Derniers articles parMatthieu NICOLAS (voir tous)
- Les quêtes – Partie 3 – Réconcilier le Drama et le Design - 28 mai 2014
- Les quêtes – Partie 2 – Modèles de quêtes - 21 mai 2014
- Les quêtes – Partie 1 – Composantes - 14 mai 2014
9 décembre 2013 at 9 h 00 min
Suite de l’article tout à fait magistrale, complète et pertinente ! Rien à redire.
J’insisterai juste sur le parti-pris qui est le mien quand j’organise ce genre de jeu. J’ai choisi de me servir de la routine non pas en tant que vecteur de jeu, mais en tant que cadre. Sur le GN carcéral de Clepsydre, par exemple, je ne voyais que peu d’intérêt à faire simuler aux joueurs l’extraction du sel pendant 10 heures, à grands coups de pioches-boudins, donc j’ai mis en scène la notion de “journée particulière” qui introduit une parenthèse autour de cette unité de temps et de lieux. Ceci afin de justifier que le temps du jeu soit l’occasion de dénouer quelques intrigues, et non que celles-ci ressortent parce que c’est le temps du GN.
Et je te confirme mon expérience : c’est beaucoup plus facile à organiser dans la mesure où le milieu structuré et fermé favorise les histoires complexes sans avoir à sortir du chapeau des hasards tirés par les cheveux, mais ça demande beaucoup plus de boulot dans la description du cadre et la peinture de l’ambiance qui devront imprégner les gens et les lieux. A titre d’exemple, nous avions développé une sorte de version locale légèrement hérétique de la religion officielle (façon Alien 2)mais ça n’a pas pris, à mon avis parce que le document concerné n’a été diffusé aux joueurs que trois jours avant le jeu.
Vivement la suite !