Les 20 & 21 Juillet 2013, en la belle région d’Aquitaine, s’est tenu un GN de la scène expérimentale nommé LICAN, organisé par l’association Cent balles et un mars. Juste après avoir lu la plaquette de présentation, je me souviens avoir dit : Aucun GN ne m’a jamais excité à ce point !
Comment les orgas m’ont-ils piégé ? Comment les joueurs ont-ils failli s’entretuer ? Pourquoi a-t-on regardé un film en plein milieu du GN ? Pourquoi devez-vous jouer LICAN ?
Autant de questions qui vous obsèdent déjà, je le sens, et auxquelles je vais répondre dans cette critique.
Comment les orgas m’ont-ils piégé ?
Le jeu utilise une méthode racoleuse et déloyale pour attirer ses joueurs. La première édition a eu lieu sur invitation auprès d’une trentaine de joueurs car il s’agissait d’une session test. Les invités ont donc reçu une plaquette de présentation. En la parcourant des yeux, on voit que malgré le titre on est bien loin d’un jeu à base de cochon-garou ou autres bidules lycanthropes hurlant à la lune.
Quelques détails qui me font tout de suite penser qu’on à affaire à un jeu pas commun :
Le sous-titre du GN : Un long dimanche en famille, s’étale sur la première page, sous une photo délavée, sombre, d’une maison de campagne et d’un arbre centenaire au tronc noueux. Ça sent la campagne noire, celle qui cache des histoires sordides. Le dimanche en famille sera long, un calvaire. On ne va pas s’y ennuyer, parce qu’on ne s’y sentira même pas en sécurité. On lit famille, mais on pense torture. On va vivre “Festen”, on va boire, mais sans joie, on ne va pas rigoler dans ce GN. Haaaa, j’ai déjà envie de signer tellement ça sent le malaise glauque et la tragédie contemplative ! Pas vous ? Attendez, il y a mieux.
Le pitch s’adjoint d’une note d’intention. Un pitch qui déjà, à lui seul, m’aurait fait signer :
“Elise Louvain, 81 ans, est morte dans son lit à la suite d’une longue et douloureuse maladie. Elle laisse derrière elle Gérard, son mari, qui n’a plus toute sa tête depuis bien longtemps.
Aussi, lorsque celui-ci invite ses enfants et ses petits-enfants dans sa maison de campagne pour fêter ses noces de camélia, la nécessité d’une mise sous tutelle s’impose à tous. À l’occasion de cette ultime réunion familiale autour de l’aïeul, resurgissent les passés et les secrets que tous croyaient bien enfouis.”
Et c’est tout ! Une morte, de mort naturelle, pas poignardée, empoisonnée, non. Morte de sa belle mort. Un grand père qui débloque. Une mise sous tutelle. Et l’annonce qu’un secret va nous tomber sur la gueule. Et ce ne sera pas une invasion alien. C’est sobre, c’est simple, ça fait du bien. Et derrière on enfonce le clou avec la note d’intention qui explique que le jeu sera un repas dominical standard, qu’il faut venir si on aime jouer des drames psychologiques et qu’il y aura de l’expérimental. Mais bordel on signe où ?!
Le logo “Garantie sans humour et sans loup garou” m’achève presque. Ce jeu ne sera pas marrant une seule seconde. On ne vient pas pour s’amuser. Comme j’ai hâte.
Pour finir, l’annonce qu’il n’y aura pas de règle de simulation pour la violence et le sexe et qu’il faut prévenir si on veut éviter de jouer ça pour que les orgas puissent vous caster. Une présentation de chaque personnage qui sent bon le film dramatique Français. Haaa non, on est pas là pour voir Prometheus, on est au cinéma d’auteur. On va jouer du Raymond Depardon, du Arnaud Desplechin. Moi j’aime ça !
La plaquette du jeu (à voir absolument (http://www.centballesetunmars.net/t511-presentation)
90 % des organisateurs de GN en France utilisent la méthode eXpérience
Et en plus c’est écrit avec la méthode que j’ai rédigé avec mes acolytes d’eXpérience. C’est pour ça qu’on m’invite. Non mais vous imaginez. Alors on a l’égo qui se gonfle, on est tout fou, on est flatté, on a les chevilles qui enflent. Vérification faite, 700 personnes l’ont téléchargée cette méthode. La vache ! Je ne savais pas qu’il y avait autant de gens qui écrivaient des GNs en France. Mais on en reparlera plus tard, parce que là, il faut que je vous parle de LICAN et de comment les joueurs ont failli s’entretuer !
Comment les joueurs ont-ils failli s’entretuer ?
Bon j’ai signé, évidemment. Aucun des arguments de la première partie de cet article n’est ironique. Tout ce que vous pouvez lire dans la plaquette me fait littéralement bander.
Sur place, je suis avec quelques amis, quelques vieilles connaissances et pas mal de gens de l’association, ceux qui ont leurs habitudes ici, leurs quartiers quoi. Eux, je ne les connais pas. Mais on a le temps de faire connaissance, parce que comme c’est expérimental, il y a des ateliers, c’est tendance et c’est tant mieux parce que c’est bien.
On commence les ateliers, histoire de se mettre en confiance et de savoir qui va jouer qui. C’est bienvenu, parce que c’est une famille nombreuse que celle des personnages. On révise l’arbre généalogique, on s’entraîne aux flashbacks, aux monologues. On aura le droit d’user des monologues pendant le jeu pour faire connaître les pensées de notre personnage aux autres joueurs, mais les flashbacks ne seront pas libres. Seulement ceux prévus par les auteurs.
Et là je ne peux pas m’empêcher de remarquer qu’il y a des vibrations bizarres dans l’air, durant ces ateliers. C’est bien pourtant. Les organisateurs sont au taquet, je suis toujours à fond, mais pourtant on a pris du retard. Mais qu’est-ce qui m’arrive ? Et puis je réalise que ce qui plombe l’ambiance ce sont les deux joueurs à côté de moi qui ont commencé une partie de chat-bite. Ha oui mais voilà, c’est ça.
Durant les ateliers, on est loin des retrouvailles sur le parking détendu avant un GN. Est-ce qu’il y a eu confusion ? Est-ce que la nouveauté des ateliers a excité les esprits ? Je ne sais pas, mais l’indiscipline des joueurs a conduit à la fatigue des autres joueurs, à la mienne et à celle des orgas à mon sens durant la première partie des ateliers.
Heureusement avec l’heure qui avance, ça se calme et le lendemain durant le jeu, rien à redire. Tous les joueurs à fond. C’était passager. Un de ces GNs où on a envie de distribuer des palmes d’or par paquet de 12 tant les joueurs nous bouleversent !
Pourquoi je parle de ça ici ? Parce que je pense qu’il y a un truc à retirer de cette anecdote. Je pousse le trait, je caricature, mais j’observe parfois une certaine indiscipline en GN de la part des joueurs avant que le jeu ne commence. Et que ce soit pour des ateliers ou pour un briefing lambda, c’est dommage. L’orga est crevé avant, pendant, après, et souvent on ne réalise pas à quel point on peut nuire au jeu en n’étant pas à l’écoute, disponible et docile dès la seconde où il commence à parler. Moi le premier, j’ai joué à chat-bite quand l’orga parlait. Ben faut pas ! C’est une question de respect !
Pourquoi a-t-on regardé un film en plein milieu du GN ?
Le soir après les ateliers, on a posé des couvertures dehors, tendu une toile blanche et on a projeté Festen. Un peu comme une soirée cool entre amis, mais où à la place du dessert, on aurait mis des chardons au caramel. Ce film a inspiré le jeu. Et si vous ne connaissez pas Festen, regardez-le, parce que c’est un ovni du cinéma et un excellent film. Pour résumer sans spoiler, Festen raconte une histoire de famille tragique, aborde des thèmes extrêmement durs et est pensé pour foutre mal à l’aise. On est dans le ton du jeu.
Pourquoi devez-vous jouer LICAN ?
LICAN est relativement simple à organiser si vous avez un bout de jardin et de quoi installer une table pour 16 personnes. Il est assez simple à prendre en main pour les joueurs également. Et c’est un jeu qui vous permettra de jouer des thèmes qu’on aborde peu. La famille, le malaise social.
Le jeu propose une expérience marquante. Un repas en plein air en famille, comme on en a tous vu. Mais dans lequel le drame s’installe lentement, combattu par l’étiquette, les non-dits et les silences des aînés. L’utilisation des monologues invite à l’introspection, permet de suivre l’histoire de cet oncle fermé sur lui-même, celui qui ne parle pas ou presque, celui qui ne sait pas tenir tête aux autres.
Les générations partagent la même table mais pas les mêmes histoires. Lorsque les aînés restent à table autour du grand-père, les jeunes s’éclipsent, ils vivent leur vie. Une cigarette ou une promenade est le prétexte à dérouler leurs propres drames. Le dialogue n’a pas pour objectif de démêler une intrigue, mais de comprendre l’autre, le frère, le cousin, le fils, pour pouvoir continuer à l’aimer ou le haïr.
De l’autre côté du malaise il y a ces liens familiaux si forts qui résistent. Parce que le frère reste un frère, même s’il a fauté, parce qu’on pardonne à sa mère même si on ne devrait pas. Avec jusqu’au bout l’incertitude quant à savoir si la famille tiendra ou non.
Je regrette des petits détails dans la lourdeur de certaines histoires que j’aurais aimé plus légères dans LICAN, mais si elles se remarquaient sur cette première version, c’est parce que le reste du jeu se tient si bien. On est loin de voir se croiser 16 destins différents dans cette après-midi de jeu, mais bien le destin d’une famille. On déroule son histoire tout en restant proche des autres personnages créés comme un réseau aux dynamiques bien établies. Votre meilleur ami, votre cousine ne sont pas des personnages lointains dont l’univers vous échappe comme cela arrive trop souvent en GN. Ces personnages se servent les uns les autres, n’existent que les uns par rapport aux autres et ça, ça fait du bien.
LICAN – 20-21 juillet 2013
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20 septembre 2013 at 11 h 45 min
Merci pour cette critique, Baptiste.
Je retiens de LICAN un vrai plaisir d’organisation, de très bons moments en jeu et hors-jeu. Un des joueurs en sortant de la session “J’ai eu une famille le temps d’un week-end, merci pour ça”, et je crois que c’est exactement ce que nous voulions faire avec ce GN.
Est-ce que LICAN est un GN romanesque ? (http://www.electro-larp.com/275-the-frenchstyle-romanesque-larp) Je peux répondre oui à tous les points de la définition donnée par Vincent, il est clair que notre GN est narrativiste, mais par contre là où je pense qu’il y a une différence, c’est dans la communication : il y a des secrets, tous entre les mains des joueurs, et c’est à eux de pacifier leur jeu. L’utilisation des monologues joue aussi beaucoup sur les révélations, certaines choses sont révélées aux joueurs mais pas aux personnages, du coup je vois plus le jeu comme un GN romanesque pour les persos, mais pas pour les joueurs. Pour moi le GN romanesque repose sur des secrets cachés aux joueurs, mais peut-être me trompe-je ?
Le GN LICAN sera certainement réorganisé dans notre asso, si vous voulez le jouer (ou jouer d’autres GN de la magnifique association Cent Balles et un Mars), n’hésitez pas à nous suivre sur notre forum http://www.centballesetunmars.net/
20 septembre 2013 at 12 h 17 min
Intéressant, merci !