“Vraiment jouer ensemble plutôt qu’utiliser les autres comme décor.”
Cet article s’adresse aux auteurs, mais aussi aux joueurs qui souhaitent participer à un jeu en groupe avec leurs amis, et créer une partie de leur jeu par eux-mêmes, au sein d’un équipage de pirates, une bande de gangsters ou n’importe quel autre bande de joyeux lurons. Si vous n’avez jamais participé à un GN avec une bonne dynamique de groupe, et que vous ne comprenez pas de quoi je parle, alors je vous envie, l’un des meilleurs aspects du GN est encore devant vous !
Sans rire, il m’est arrivé de passer de bien meilleurs GN avec un groupe de personnages dont chacun était défini par un métier et un trait psychologique, qu’avec un personnages de 45 pages. Je ne dis pas qu’il ne faut faire que ça. Loin de là, je dis qu’un groupe de personnages avec une bonne dynamique est un vecteur de jeu extrêmement efficace. Vraiment jouer ensemble plutôt qu’utiliser les autres comme décor.
Un outil plus qu’une méthode.
Il existe de très nombreuses façons d’écrire des jeux de rôles Grandeur Nature. Ce qui va conditionner une méthode est bien souvent le choix de votre point d’entrée. Vous pouvez par exemple partir d’une prémisse, comme proposé dans la méthode eXpérience. C’est-à-dire construire une phrase au format suivant :
[le héros] + va + [action de départ] + et + [conséquence]
Ce qui peut donner :
Un père de famille désespéré va fabriquer de la drogue pour payer sa chimiothérapie et devenir l’un des trafiquants les plus respectés du nouveau mexique.
Dans ce cas-là, ce point d’entrée va conditionner une méthode tournée vers l’obtention d’une histoire, lisible, comprenant des transformations de personnages, un climax potentiel et un dénouement.
Mais vous pouvez également partir d’une volonté de mettre en scène de l’action exceptionnelle, d’une volonté de reproduire l’humour d’une série télévisée, ou encore d’une énigme mystérieuse laissée sans réponse (comme le propose une méthode d’écriture d’enquête qui paraîtra bientôt sur ce blog).
Cet article ne propose pas une méthode, puisqu’il ne s’agit pas de choisir une dynamique de groupe comme point d’entrée pour écrire un GN, mais plutôt de savoir reconnaître le moment où vous aurez besoin dans votre jeu de donner des armes à vos joueurs pour pouvoir incarner un groupe de personnages capables de se répondre les uns aux autres et de se donner du jeu quels que soient les événements traversés.
Cet outil s’avère très utile pour des formats de partie de jeu de rôle sur table traditionnelle où le groupe des personnages sera souvent allié face à une série d’événements variés. Si votre GN, qu’il soit écrit avec une méthode ou une autre, est propice à ce que des groupes de personnages se forment et passent du temps ensemble, alors cet outil est fait pour vous.
Qu’est-ce qu’une dynamique de groupe ?
Lorsque vous décidez d’inviter des amis à dîner, vous n’invitez pas forcément votre famille le même soir.
Les discussions que vous avez avec vos parents sont passionnantes. Votre père vous contredit systématiquement, votre mère essaye tant bien que mal de changer de sujet et l’ennui ne s’installe jamais une seule seconde. Les rares moments de silence sont ceux qui suivent généralement le moment où votre mère s’effondre en larmes et où votre père et vous, soudain peinés, vous confondez en excuses. Nous avons là une belle dynamique de groupe.
Lorsque vous êtes avec vos amis, Florian a toujours une nouvelle idée débile à proposer au groupe, Michel rétorquera que c’est impossible à réaliser, Julie va poser 1000 questions. Au final Michel va parier avec Florian que ça sera impossible, Julie va proposer son aide, Florian va se retrouver embarqué parce que Julie est sa femme, et n’en foutra pas une. Nous avons là une dynamique de groupe également.
Pour autant, réunir vos parents et vos amis lors du même dîner aura peu de chance de produire une soirée délicieuse. Et la raison n’est pas la différence d’âge, ni une différence de culture. La raison est qu’un groupe socialement actif fonctionne comme une équipe de volleyball. Vous pouvez mettre un sujet sur la table et ce sera comme lancer un ballon. Chacun passera la balle à un autre jusqu’à ce que l’ensemble de l’équipe décide d’arrêter. Votre mère ne sait pas jouer dans l’équipe de Florian, voila tout.
Lorsque que quelqu’un n’arrive pas à trouver sa place au sein d’un groupe, c’est bien souvent parce qu’il ne reçoit pas assez de balles de la part des autres joueurs.
Si vous avez déjà joué au sein d’un groupe ayant une bonne dynamique, je suppose que vous voyez immédiatement l’intérêt de parvenir à recréer cette expérience. Il est souvent plus facile pour un groupe de joueurs qui se connaissent de générer ce genre de dynamique par le dialogue ou quelques ateliers pré-GN (voir l’article sur les workshops). Lorsqu’un auteur veut en confier une à des joueurs qui ne se connaissent pas, c’est un peu plus complexe.
L’objectif de cet outil est de faciliter la réflexion sur la dynamique d’un groupe de personnages, que vous soyez l’auteur du jeu ou que vous soyez joueur.
Comment créer des dynamiques ?
Dans votre GN, certains enjeux vont apparaître au fil des situations de jeu. Qui va faire la vaisselle ? Qui sera le chef ? Que faire du trésor ? Lors de chacune des situations de jeu, vous allez espérer que chacun des personnages pourra exister et se positionner par rapport aux autres. Pour cela, vous pouvez tenter de vous assurer que chacun aura une place, une fonction bien définie qu’il pourra utiliser durant le jeu. Libre à vous de communiquer ces informations sur le personnage directement ou de les faire passer aux joueurs via une backstory romancée.
Le point de vue moral
Demandez-vous quel est le point de vue moral de chaque personnage sur les enjeux les plus susceptibles de ressortir durant le jeu. Deux personnages différents ne devraient pas avoir le même point de vue moral. Ce qui ne les empêchera pas de partager des objectifs communs.
Serge pense que facebook prive les gens de rencontres véritables.
Raoul pense que facebook leur permet au contraire de se rapprocher.
Marie pense que facebook est un outil de contrôle de notre vie privée.
Serge et Raoul vont entrer en opposition fortement sur ce sujet. Leur groupe de musique doit-il avoir une page facebook ? Marie peut rejoindre l’avis de Serge, refusant d’encourager le système, pourtant elle ne partage pas son opinion. Ses motivations sont différentes.
Attention toutefois à ne pas se limiter à cet exercice et à quelques enjeux, car peu d’enjeux sont éternels. Une situation de jeu viendra tôt ou tard mettre fin aux discussions, et les joueurs ne reviendront pas sans cesse sur les mêmes questions lorsqu’ils auront épuisé leurs arguments. Toutefois cet exercice permettra d’envisager comment le groupe fonctionnera durant le jeu et de repérer les personnages qui n’auront pas de véritable positionnement sur des enjeux importants.
Le comportement social
Dans votre groupe d’amis, Serge communique parfois en parlant un peu fort. Il s’emporte quand il a tort et qu’on lui montre, il ne cède jamais immédiatement. Il lui faut souvent prendre le temps d’une cigarette pour se calmer, réfléchir et enfin admettre ses torts.
En revanche Cécile parle toujours calmement. Cela vient peut être du fait qu’elle est institutrice. C’est un tantinet énervant d’ailleurs, voire carrément horripilant cette façon d’infantiliser les autres.
Pour que la dynamique de groupe soit riche, il est bon que les personnages ne se comportent pas tous de la même manière. Cette richesse dans les comportements va relancer le jeu et donner du corps aux conflits éventuels.
Vous trouverez des exemples autour de vous, partout, des idées dans n’importe quelle liste d’adjectifs. Posez-vous la question : Comment ce personnage réagit face à un problème nouveau, face à une bonne nouvelle ? Envisager les réactions positives comme négatives est un bon exercice, car bien souvent, les défauts d’une personne vont avec ses qualités. Zoé peut être pragmatique et faire preuve de sang-froid en toute circonstance, mais que se passe-t-il dans les rares moments où elle baisse les bras ? Son esprit pragmatique et sa confiance en elle peuvent la conduire à décourager tous les autres, à essayer de les convaincre que tout est foutu.
Le statut social
Le statut d’un individu ira souvent de pair avec son comportement. Mais il se peut aussi que les circonstances aient donné un haut statut à une personne malgré un comportement incompatible avec ce même statut. C’est le cas du chef lâche et débonnaire dont personne n’aurait voulu.
Quel est le statut social du personnage dans le groupe ? C’est une question qui semble évidente lorsque l’on pense à des groupes hiérarchisés comme un corps d’armée, mais qui peuvent exister au sein d’une équipe de foot, d’un équipage de vaisseau. Qui sait faire quoi ? Pourquoi ce personnage est-il indispensable au groupe ? Sait-il quelque chose que les autres ne savent pas ? Qui l’aime, le respecte ? Qui patiente et cherche la première occasion pour s’en prendre à ce statut ? Lorsqu’un personnage peut trouver son domaine de spécialité ou le moment où il est en position de force, de faiblesse, il peut s’exprimer d’une façon totalement différente. Jouer sur les statuts et bien les différencier est encore un moyen de poser une dynamique de groupe riche et solide.
Dans la prochaine partie nous verrons comment utiliser de vieux dossiers, mais aussi comment utiliser la projection des personnages vers l’avenir comme moteur de dynamiques. De plus, nous tenterons d’illustrer par un exemple comment créer une dynamique de groupe en choisissant un univers aléatoire de GN et en essayant de mettre cet article en pratique.
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20 août 2013 at 12 h 35 min
J’aime beaucoup. C’est plein de ces évidences qu’on ne perçoit qu’une fois qu’on en a eu la démonstration. L’oeuf de Colomb au format GN. C’est bien observé et pertinent.
21 août 2013 at 15 h 22 min
Tout à fait d’accord avec vous, rien ne vaut une bonne dynamique de joueurs. On peut tenir une session de jeu entièrement avec ça.
Cela dépend autant de l’orga que des joueurs, le tout est de réfléchir à une configuration de jeu instable qui créera du rp. Tel joueur fera l’allumette, l’autre le bâton de dynamite et le troisième sera le seau d’eau 😉
Le seul point avec lequel je ne suis pas d’accord,c’est le fait de dire que les joueurs qui se connaissent bien seront les plus à même de gérer une bonne dynamique.
Mon expérience de gn me pousse à croire le contraire, jouer avec des inconnus permet mieux de “blender” le joueur et le personnage.
Quand on joue avec des potes, on connait bien leurs traits de caractères et ils se juxtaposent au personnage (celui la est dur en affaire, celui la trahi pour un oui ou un non, celui la ne sait pas dire non,c’est mon copain alors je vais arrondir les angles sans justification etc)
Il est selon moi plus difficile d’avoir une approche “fraiche” d’un personnage avec des connaissances qu’avec des inconnus. (Et je ne parle même pas du risque d’aparté entre potes)
22 août 2013 at 11 h 10 min
Un moyen intéressant de créer des dynamiques de groupes est de créer des différences de niveaux relationnels selon les situations :
Tel groupe est une délégation diplomatique, les relations primaires entre les personnages sont régies par leur statut social : un noble diplomate, une éminence grise, un cousin qui veut prendre la place du diplomate, un marchand, un esclave, un garde du corps.
Mais ces personnages ont également des relations secondaires à un niveau qui annule leur statut social : ils appartiennent à une secte dans laquelle le marchand est un “grand maitre”, l’esclave connait les membres de la même secte dans les autres délégations, le cousin est “infiltré” …
La superposition de ces deux niveaux de relations créera des dynamiques, un peu comme dans une pile …