Le GN « Les Noces de Cendre » prend pour cadre l’Argentine de 1945 et ses événements politiques mouvementés. Deux sessions ont été organisées pour le moment par l’association Rôle, en avril et mai 2012, et le jeu devrait voir des rééditions en 2013. Véronique Gresset, qui signe là son premier jeu, a travaillé plus de trois ans pour arriver à ce résultat. L’écriture a été longue, les fiches de personnages romancées donnent à voir des personnages complexes mêlés à de nombreuses intrigues, les documents de jeu sont extrêmement soignés et tout est fait pour mettre les joueurs dans l’ambiance voulue. Un tel effort de scénarisation pour l’écriture d’un premier GN est suffisamment rare pour être noté.
Photo : Joram Epis
Ce jeu rassemble une vingtaine de personnages aux destins entremêlés le temps d’une journée très particulière, qui va être décisive pour chacun d’entre eux. Cette construction se situe dans la lignée de beaucoup de GN du même type, où un prétexte quelconque va réunir les personnages afin qu’ils dénouent des intrigues tissées entre eux de plus ou moins longue date. Cette structure classique comporte ses pièges et ses défauts que le jeu ne parvient malheureusement pas à éviter, mais il possède heureusement de nombreuses qualités qui viennent contrebalancer tout cela.
Si le jeu ne commence réellement que le samedi en début de matinée pour finir dans la nuit, les organisateurs ont fait le choix de convier les joueurs dès le vendredi soir, afin de se mettre progressivement dans l’ambiance et de réviser quelques pas de tango. Cette mise en condition en douceur est assez efficace, et si l’on ajoute les cours de tango proposés aux joueurs lors des semaines précédentes, on peut dire que les organisateurs se donnent les moyens d’obtenir l’ambiance qu’ils désirent.
Photo : Joram Epis
Les efforts des organisateurs se poursuivent également pendant le jeu, puisque l’ambiance musicale lui donne une identité forte, avec des airs de tango qui s’enchaînent en toile de fond, et quelques surprises que nous ne pouvons dévoiler ici mais qui sont particulièrement bien vues, sans oublier bien sûr la danse qui fait partie intégrante de cet univers et de ces personnages. Le tango fait écho aux intrigues par sa tristesse et sa passion, et est en totale adéquation avec l’ambiance recherchée par le scénario.
Visuellement les documents et objets en jeu sont particulièrement réussis, à l’image de ce que les organisateurs ont envoyé auparavant, et tout est fait pour plonger les joueurs dans cet univers. D’autres éléments destinés à renforcer le contexte de l’Argentine des années 40 sont prévus, rappelant aux joueurs qu’ils ne sont pas coupés du monde et que leurs décisions ont de l’influence. Donner aux joueurs le sentiment d’être argentin le temps d’un jeu était un défi audacieux, mais les organisateurs s’y sont employés avec passion.
Photo : Joram Epis
Outre l’ambiance, l’un des gros points forts du jeu vient de la richesse des personnages proposés. La rédaction y est pour beaucoup, mais également la construction des personnages, sur laquelle je reviendrai un peu plus loin, ainsi que les relations qu’ils entretiennent entre eux, souvent complexes et porteuses de jeu. On pourra cependant regretter une construction générale du scénario qui voit les destins des personnages s’entremêler de façon un peu artificielle à travers de multiples coïncidences, affadissant parfois de belles relations qui perdent ainsi de leur finesse et de leur profondeur.
Du point de vue du rythme, et étant donnée la structure du scénario, les organisateurs ont préféré un planning événementiel léger, venant souligner l’ambiance sans être trop intrusif. Cette volonté est une réussite, puisque chaque joueur peut ainsi doser le rythme de son jeu comme il le souhaite, au gré de ses rencontres et de ses discussions.
Photo : Joram Epis
Revenons maintenant sur la construction des personnages, particulièrement notable dans ce jeu. La volonté de l’auteur était de mettre chacun des personnages face à des dilemmes de tous types, ce qui donne au GN un ton particulier. Les personnages sont en effet construits autour de ces dilemmes, qui sont au cœur du jeu de chacun, et qui ont été travaillés longuement pour que les joueurs puissent en tirer le maximum de jeu durant la journée. Les personnages ainsi construits ont donc des psychologies complexes, puisqu’ils sont souvent tiraillés entre des valeurs opposées, et offrent aux joueurs qui les incarnent de réels questionnements, parfois universels. Cette universalité est d’ailleurs en partie à l’origine de la force émotionnelle de certaines scènes, puisque plusieurs joueurs se sont sentis directement touchés par ces personnages qui les renvoyaient à eux-mêmes (un assez bon exemple d’effet bleed).
Photo : Joram Epis
Cette démarche de l’auteur s’appliquant à chacun, elle crée une unité de ton pendant le GN, puisque les questionnements de chaque personnage, même s’ils sont différents, se répondent les uns aux autres et enrichissent les scènes et les dialogues en ajoutant du sens à l’histoire. C’est une qualité rare et appréciable dans un jeu centré autour d’intrigues personnelles, ces jeux ayant parfois le défaut de faire vivre côte à côte des personnages aux enjeux si différents que la cohérence globale de l’univers en pâtit. Même si ce GN n’évite pas complètement le problème en donnant à chaque personnage beaucoup d’intrigues différentes, qui ne s’accordent pas toujours entre elles de façon heureuse, il faut souligner l’effort de la démarche, apportant de la profondeur à de nombreuses scènes qui résonnent ainsi avec l’histoire de chaque personnage.
Ajoutons que cette construction autour des dilemmes procure à chaque personnage des forces et des faiblesses bien spécifiques, et que l’interprétation des joueurs lors des différentes situations est guidée par un point de vue moral bien défini en amont, ce qui peut parfois manquer dans certains GN aux caractérisations de personnages plus floues.
Photo : Joram Epis
Plus que cela, ces dilemmes sont travaillés pour forcer les joueurs à faire de véritables choix pendant le jeu, et c’est sans doute ce qui est leur principal atout. En effet beaucoup de jeux centrés autour de relations de personnages entrecroisées et de révélations se concentrent sur le passé des personnages, où chacun va raconter ce qui est écrit dans sa fiche, suscitant la surprise des autres joueurs découvrant l’histoire pendant le GN. Si ce genre de révélation est un outil utile pour avancer dans un jeu, il est parfois regrettable qu’il en devienne le moteur principal, faisant oublier que les joueurs de GN sont là pour vivre et agir physiquement dans un univers, en prenant des décisions impactant réellement leur environnement et l’avenir de leur personnage. Grâce à de véritables choix à faire pendant le jeu, l’auteur des Noces de Cendres remet l’action présente au cœur des préoccupations des joueurs, reléguant l’évocation du passé à ce qui devrait être sa vraie place : un moyen d’avancer dans l’histoire.
Les Noces de Cendre
Un jeu de Véronique et Raphaëlle Gresset organisé par l’association Rôle
Conseils divers, site internet et visuels : Frédou
Entretien avec l’auteur : http://www.electro-gn.com/29-radio-gn-episode3-lesnocesdecendre
Site officiel : http://agoniedupoete.fr/NocesDeCendre/
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13 septembre 2012 at 6 h 49 min
Excellente critique qui fait bien ressortir l’esprit du jeu, ses qualités et ses -très rares- défauts.
13 septembre 2012 at 2 h 18 min
Lire cette critique m’a rappelé à quel point je me suis éclaté sur ce jeu. Encore merci aux orgas !