La capacité de jeu : un concept que j’ai pioché dans un gros livre et que j’ai tout de suite trouvé intéressant. Surtout si vous avez la sensation d’avoir du mal à jouer « comme il faut » en GN et donc du mal à vous amuser. Vous pourrez également découvrir quel genre de joueur vous êtes (un peu comme dans un test Biba).
Dès lors qu’il s’agit d’improviser, que ce soit en GN, ou dans n’importe quelle performance théâtrale, des codes implicites apparaissent, permettant de catégoriser les « bons » et les « mauvais » joueurs. C’est un processus immédiat et cependant très difficile à expliquer puisque la grille de notation est floue, voire totalement indéfinie.
Que vous ayez reçu ou non une formation aux techniques théâtrales, il arrive que vous ayez du « mal à jouer », preuve de l’existence du concept de capacité de jeu.
Je ne veux pas confondre la capacité de jeu avec diverses capacités d’expressions acquises par l’individu. Une bonne élocution ou une gestuelle charismatique ne font pas la capacité de jeu.
Dans leur article[1], Dominique Oberlé et Emmanuelle Gilbert proposent de remplacer l’idée reçue « je joue mal, je suis un mauvais acteur » par « j’ai du mal à jouer », ce qui remet donc moins en question l’individu que l’environnement ou les consignes données.
Si l’on recherche via l’exercice du GN, à jouer, plutôt qu’à produire un résultat final convaincant, c’est une notion intéressante. On recherche à faire l’expérience de sa propre créativité sans s’alourdir avec un objectif précis. On cherche à jouer pour soi avec les autres et non plus à jouer pour les autres. Ce dernier point me semblant un point de blocage régulier du joueur de GN ayant du « mal à jouer » car cherchant à produire un résultat satisfaisant pour le groupe.
Jean pierre Ryngaert[2] essaye de lister quelques uns des critères qui définissent la capacité de jeu en commençant par définir les caractères qui freinent la capacité de jeu.
Quel joueur êtes vous ?
Le joueur inhibé
La paralysie face à la demande de jeu est un cas fréquent et pourtant peu rencontré en GN, probablement parce que le joueur inhibé n’est pas suffisamment accompagné et ne s’essaye pas plusieurs fois à l’activité. On commence régulièrement un cours d’impro par des échauffements, ce qu’on ne fait pas (à tort ?) en GN. L’inhibition est liée à un manque de confiance en soi ou en les autres, ce qui provoque une impossibilité de s’ouvrir aux autres. Le jeu est un excellent moyen de faire tomber ses défenses vis-à-vis des autres, mais l’inhibition empêche la situation de jeu. Elle peut être également provoquée par une incompréhension des enjeux. Je parle ici de méta-enjeux (ceux qui concernent le joueur et non le personnage). « Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas ce que les autres font, ce que je vois me semble donc fou. »
Une pratique d’échauffement et d’expression sans public est paraît-il un bon moyen de lutter contre ces barrières. En GN, on pourrait s’essayer à la mise en place d’échauffements avant le jeu et on devrait toujours s’assurer que les enjeux et les règles ont bien été assimilés par tous les joueurs.
Le joueur extraverti
Le joueur inhibé est repéré par tous et immédiatement caractérisé de « mauvais joueur », tandis que le cabotin est, lui, souvent encouragé et jugé positivement. Pourtant son comportement se passe de l’écoute des autres joueurs et se caractérise essentiellement par l’envie de briller en société et d’attirer les rires et les applaudissements. Le cabotin nuit à la créativité du groupe car sa démarche n’est pas créative. Il cherche à reproduire des sketchs connus de lui et/ou des autres et à tourner la situation à se stéréotyper pour mieux la contrôler.
L’augmentation de la capacité de jeu passe par l’acceptation de l’exercice sensible du jeu, de l’échec et du partage et il est difficile de faire percevoir à un individu les raisons qui font que ce type de comportement tue toute possibilité de jeu.
Le non-joueur
Le non-joueur est celui qui manifeste brutalement dans une situation de jeu dans laquelle il est engagé, le besoin de montrer qu’il est conscient qu’il s’agit d’un jeu. Il ne le fait pas par ennui ou par incompréhension des enjeux qui sont très clairs pour lui, mais bien pour remettre pied à la réalité. Souvent pour éviter de s’approcher d’une expérience sensible qui pourrait être « ridicule ». Par un simple clin d’œil ou une allusion à la réalité immédiate, il montre qu’il ne participe plus et tente souvent par le rire d’entraîner les autres avec lui. (Un « poil au fion » peut faire l’affaire également).
L’engagement dans le jeu consiste pour des joueurs à faire semblant de croire à la situation virtuelle. Il va de soi que chacun est capable de se désengager à tout moment. Pourtant le faire, c’est nuire à la confiance du groupe.
Le comédien débutant
Je n’ai pas trouvé mieux pour définir ce cas-là. Il s’agit du joueur qui a quelques notions de techniques théâtrales. Il les maîtrise, mais en maîtrise peu. Il est donc amené assez naturellement à réutiliser les mêmes méthodes, pas toujours au meilleur moment. Contrairement au joueur extraverti, il ne cherche pas forcément à se mettre en avant, mais utilise ce qu’il connaît, encore et encore. En toute bonne foi, il pense que son numéro de jonglage est toujours du plus bel effet et que verser une larme est signe d’une grande émotion et ça tombe bien, il sait pleurer.
Le jeu en vase clos est sclérosant, toujours, et conduit à un narcissisme et un hermétisme qui tue la possibilité d’expérience.
Quel que soit le type de joueur auquel vous vous identifiez le mieux, tous ces handicaps s’estompent avec l’exercice et l’expérience, encore faut il accepter le jeu comme un exercice. Les montrer du doigt ne servira pas à les faire disparaître. Le jeu lorsqu’il se manifeste au cours d’un GN est un moment précaire, menacé par tous ces comportements et il faut prendre conscience de ces menaces pour travailler à leur atténuation.
Lire la seconde partie de l’article
[1] « l’animateur de jeu dramatique en institution psychiatrique ». VST n° 143 oct-nov 1982 p.47
[2] Dans « Jouer, représenter », Armand Colin 1985, p.15
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2 décembre 2011 at 1 h 05 min
J’aime bien ce début d’article.
Au risque de bousculer quelques susceptibilités, les quelques portaits brossés ci-dessus peuvent concerner chacun, à un moment ou un autre de son parcours ludique. Et pointent, au-delà du reproche
apparent, des difficultés d’interprétation qu’il vaut mieux nommer pour les comprendre, plutôt que de faire son Tartuffe et prétendre ne pas les voir.
Je crois aussi, pour en avoir fait l’expérience, qu’en fonction de la forme du moment, de l’humeur du jour, des premiers instants du jeu, de la sincérité (ou pas) de la motivation à jouer CE jeu
là, personne n’est à l’abri de la rechute dans ces travers.
Ou d’autres : on pourrait rajouter aux archétypes présentés le comédien professionnel, celui qui donne, joue, interprète et se met en scène, mais ne ressent pas, tant il se focalise sur le regard
d’autrui et en oublie de se surprendre, soi.
Dans tous les cas, il y a deux points communs à tous ces portraits, c’est le rapport à l’autre, d’une part, et le plaisir retiré du jeu, d’autre part. De sa propre capacité de jeu découle non pas
une prétendue qualité personnelle, un très illusoire “niveau” de jeu, mais une qualité dans les échanges avec autrui. Et une forme de complétude dans le plaisir retiré du jeu.
Mieux se connaître, mieux connaître son partenaire, pour plus de plaisir. Voici une maxime qui trouvera au moins un défenseur parmi les réguliers de cette tribune 😉
16 avril 2020 at 17 h 58 min
Bonjour, serait-il possible de pouvoir lire votre mémoire concernant les jeux Grandeurs Nature ?
Merci de votre réponse.
29 avril 2020 at 15 h 45 min
Bonjour Nicolas,
ce mémoire ainsi que d’autres publications sur le GN sont disponibles sur le site de la FédéGN : https://www.fedegn.org/ressources/etudes-et-publications.html