Lire la partie précédente sur le récit.
Cette série d’articles va s’attarder sur les outils pratiques utilisés par les scénaristes, américains notamment, pour construire et relire leurs scénarios. Elle s’adresse aux scénaristes qui cherchent à revenir sur leur travail ou celui d’un autre, à le comprendre et à savoir quels en sont les codes plutôt que d’imiter sans maîtrise.
Le scénariste qui estime pouvoir créer son héros à partir d’une série d’adjectifs, puis le faire changer et évoluer à la fin de l’histoire, devrait s’attarder sur une manière différente de voir les choses : le réseau de personnages. Nous allons en effet parler ici d’un point important mais non suffisant de l’écriture d’un scénario : les personnages.
Nous paraphraserons ici énormément les Américains John Truby (auquel j’emprunte 90 % de mon plan) et Robert McKee. Pourquoi ? Ça va droit au but, c’est la recette de cuisine utilisée par Hollywood depuis des années et tout simplement : ça marche ! D’ailleurs, la plupart des ouvrages qui conseillent des méthodes pour faire une bonne histoire disent la même chose. La méthode américaine, c’est la classe (au Texas), mais ça n’est ni plus ni moins que ce que Brecht, Propp et d’autres ont toujours soutenu, à deux ou trois nuances près. L’autre avantage à choisir des méthodes hollywoodiennes est le nombre de références communes à tous. Nous essaierons ensuite de tester l’application de ces outils à l’exercice de l’écriture de GN. Mais vous verrez que vous le ferez certainement par vous-mêmes, tout au long de l’exposé.
La conférence en vidéo
Le succès d’une histoire ne tient pas qu’au héros, même si l’intrigue repose sur lui. Bien souvent l’histoire est portée par plusieurs personnages. Ce réseau de personnages, observé à la loupe, va nous faire découvrir des caractères et des fonctions qui pousseront chacun à agir différemment face au même problème moral.
Voici ce que nous allons aborder par la suite :
1. Prenons le personnage principal d’une histoire et observons-le au sein d’un schéma de connexions entre personnages, en les comparant en fonction de leur place et de leur archétype ;
2. Individualisons-les en fonction du thème et de l’opposition (un terme qui sera clarifié plus tard) ;
3. Individualisons le héros afin de lui offrir une personnalité complexe et séduisante ;
4. Créer l’adversaire. Personnage important car il définit le héros ;
5. Techniques de création de conflits liés au personnage.
1. Le réseau de personnage
Un personnage seul face à une intrigue est comme le scénariste qui l’a créé face à la feuille blanche. Il est faible. Faible parce qu’il n’est pas épaulé par d’autres personnages. Plus grave encore (parce qu’avec un peu de peinture, on pourrait faire croire que notre héros est solide et intéressant), les autres personnages, dont l’adversaire, seront faibles eux-aussi.
Pour créer des personnages complexes et intéressants, il faut les penser les uns par rapport aux autres. Ce sont les connexions entre personnages qui vont donner du corps à chacun d’entre eux.
Un personnage se définit par : un rôle dans l’histoire, un archétype, le débat moral et l’opposition.
Réseau de personnages d’après leurs fonctions dans l’histoire
Pour que l’histoire avance : chaque personnage doit faire certaines choses. Sinon, ça ne bouge pas. L’histoire s’articule autour d’un désir. Chacun des personnages gravite autour sans pour autant le faire avec les mêmes objectifs.
– Héros
C’est lui qui est confronté au problème central à l’histoire. Il est porté par le désir. Bien sûr, il a des faiblesses et des besoins qui peuvent le freiner dans sa quête. Tous les autres personnages de l’histoire représentent une relation d’opposition ou d’alliance avec le héros.
– Adversaire
Ce personnage va empêcher le héros d’atteindre son objectif en attaquant sa faiblesse. Attention ! Son désir n’est pas d’empêcher le héros d’atteindre son but. Il ne doit pas être systématique (un robot qui n’aime pas les gentil parce queeee !). Son objectif est autre. Souvent (je dirais même, dans l’idéal), il suit la même ligne de désir que le héros, ce qui est la source du conflit.
Les plus profonds conflits font les plus belles histoires. Cette relation est sans aucun doute la relation clef d’un scénario. En travaillant leur opposition, l’auteur élabore les défis à venir dans le récit.
J’ajoute que le héros ne déteste pas forcément l’adversaire. Il peut s’agir d’une personne qu’il aime (son père, sa fiancée).
– Allié
Adjuvant du héros. Il sert essentiellement à le connaître et à le définir ainsi qu’à tirer dans le dos du méchant à la fin. Souvent, il a le même objectif que le héros, mais pas toujours.
– Faux allié/adversaire
On croyait que c’était un pote, mais non. Ce petit fumier amène souvent avec lui des rebondissements inattendus. Il intervient à la minute 56 des films de Disney. Mais il peut aussi être un personnage extrêmement profond, notamment parce qu’il remplit aussi la fonction du vrai allié en se trouvant de plus en plus proche du héros.
– Faux adversaire /allié
Moins souvent utilisé car moins directement utile, il permet, en général, de dissimuler sous des oppositions de véritables moyens d’assurer la transformation du héros.
– Personnage secondaire
Parlons-en brièvement. Le personnage secondaire est, dans la typologie américaine, un deuxième héros d’une intrigue secondaire. Toute son histoire nous permet de comparer la façon dont lui et le héros sont confrontés à un problème. Pensez aux séries américaines et vous comprendrez immédiatement cette définition.
- « Technique : deux personnages principaux »
En GN, on vise souvent, allez-vous me dire, à avoir plusieurs personnages principaux. À part les films « chorale », comme Pulp fiction, il existe deux genres d’histoires qui ont deux personnages principaux. Ce sont les histoires d’amour et d’amitié. Parlons-en un peu, à l’américaine toujours, pour voir s’il y a du bon à prendre.
Les histoires d’amour
« J’ai casté un couple dans le rôle de deux amoureux. Pourquoi ça ne fait pas une belle histoire d’amour ? »
C’est quoi une histoire d’amour ? C’est une histoire qui cherche à démontrer la valeur de l’alliance de deux personnages. Le couple est finalement une entité plus authentique, entière et heureuse que l’individu seul. L’épanouissement des individus passe par cette transformation.
Si vous créez deux personnages principaux avec deux lignes de désir différentes, il sera difficile de faire se croiser ces deux lignes pour aller vers une même transformation. En général, la ligne de désir est unique et attribuée avant tout à un des deux personnages. Au moins, un peu plus qu’à l’autre. En général, dans les films américains c’est … l’homme ? La femme ? Qu’en pensez-vous ?
Lequel des deux héros est généralement mis en avant dans l’histoire même légèrement ?
La réponse est : l’homme. Mais il y a des exceptions, parmi les films les plus marquants, sans doute en partie grâce à cette originalité, comme Autant en emporte le vent.
Ce qui signifie qu’en général, l’affrontement central a lieu avec l’être aimé, qui contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’aide pas à définir le héros comme le ferait un allié. Il est donc l’adversaire principal.
Les histoires d’amitié
Le héros est généralement l’entité que représentent les deux amis. Ensemble, deux individus forment le héros. Il n’est pas uniquement la somme des valeurs de l’un et de l’autre, mais le fruit de la confrontation de leurs valeurs respectives. En général, la ligne de désir est générée par l’un des deux membres de l’équipe avant tout. Les histoires d’amitié permettent donc de montrer deux façons différentes d’appréhender le problème central et montre comment les deux peuvent se combiner. Parfois adversaire, parfois allié, l’ami n’entre pas en opposition frontale avec le vrai personnage principal. Souvent associé au mythe du voyage, l’aventure des deux comparses fait qu’ils ont généralement bien d’autres chats à fouetter pour trouver le temps de se mettre sur la gueule.
- « Technique : supprimer les personnages superflus »
Un petit conseil des master class à l’américaine : supprimer les personnages qui ne remplissent pas une fonction primordiale dans l’histoire.
En GN, voilà une question à se poser : Est-ce que je veux des héros et uniquement des héros ? Ou bien est-ce que j’assume qu’il y aura des personnages qui auront d’autres fonctions ? Dois-je cantonner ces rôles à des PNJS ? Est-ce réaliste ?
Derniers articles parBaptiste CAZES (voir tous)
- La méthode aXiome – écrire un scénario d’enquête - 21 décembre 2015
- Nouveauté Electro-GN : Les soluces de GN - 1 avril 2015
- Blackbox, exemples d’utilisations sur Mad About The Boy - 6 mars 2015
1 février 2012 at 9 h 51 min
“il intervient à la minute 56 des films de Disney.”
Je n’ai pas le temps, là, maintenant, de re-regarder tous mes Disneys.
J’aimerais des exemples, sivouplé.
1 février 2012 at 0 h 23 min
je pense plus aux films disney qui ne sont pas des films d’animation. Dans les films d’animation parfois, le schéma est le suivant : l’allié se révéle être un menteur depuis le début vers
la minute 56. à kla minute 65 on découvrira qu’en fait, il est quand même gentil ! (mushu, dans mulan) .
Mais dans tous les cas, c’est un ressort classique du cinéma américain et Disney sort assez peu des schémas scénaristiques éprouvés, même s’il est vrai que ce n’est pas LE ressort systématique.
J’ai dit minute 56 pour plaisanter et montrer le côté assez cliché de la façon dont se révéle ce genre de personnage. évidemment il arrive qu’il intervienne à la minute 55 pour membéter.
En pur traitre on eut citer (heu spoil): l’ours dans toy story 3 tu ne peux pas le rater, grand coquin et gédéon dans pinocchio, dans une moindre mesure jaffar lorsqu’il change d’apparence
1 février 2012 at 0 h 29 min
Mmm Moui… Hrand coquin et Gédéon, Jafar, c’est même carrément des ennemis…
Mushu, depuis le début on est au courant, aussi.
L’ours de Toy Story, ok, je prends.
Quand je cherche un gentil qui est en fait un méchant, y’a (SPOIL ALERT) Perfect Blue. Et Totall Recall. Et le flic infiltré dans reservoir Dogs? Je ne sais pas si ça marche, celui-là.
Enfin des histoires de traitres, il doit bien y en avoir un million. On doit pouvoir trouver…
1 février 2012 at 1 h 35 min
carrément. mais comme j’ai pris disney comme exemple j’essaye de le justifier. C’est souvent un resssort qui ne souffre pas la demi mesure. soit c’est drole et cliché, soit c’est LA révélation du
film.
8 février 2012 at 9 h 40 min
Eureka!
Lando Calrissian! Who else?! Pour être gentil, puis méchant, puis re-gentil. Han Solo aussi, dans une moindre mesure. ^__^