Le Paradis Carmin Cabaret au Kandorya 2011 : la naissance d’une troupe
Enfin ensemble ! J-3
Le jour du grand départ est enfin arrivé. Fébrilement, les derniers préparatifs sont accomplis. L’inventaire est long, le chargement complexe. Mais l’ambiance est bonne, entre excitation et trac. La caravane se forme et prend la route, pour faire la jonction avec les autres véhicules à différents points de rendez-vous, un peu partout le long d’un diagonale Chambéry / Pays de la Loire. Comme nous roulons en convoi, Alex a apporté plusieurs petites radios pour que nous restions en contact sans utiliser le téléphone. Ce n’était pas prévu, mais c’est une excellente idée. Ça n’a l’air de rien, mais c’est peut-être, rétrospectivement, l’acte fondateur de la troupe. En effet, par la radio, la tentation est grande de dire des conneries aux autres. Une convivialité immédiate s’installe, des délires prennent forme, les premiers automatismes apparaissent et soudent un groupe qui ne se connaissait pas quelques heures auparavant. Pendant la longue route, un brainstorming improvisé, créatif et loufoque permet de définir un peu mieux (et enfin) l’identité du groupe. Comme le média est uniquement auditif, et que les costumes sont déjà prévus, notre identité se construit autour de ce que nous pouvons échanger par radio, soit un accent pseudo-roumain, quelques expressions récurrentes, et la propension évidente de chacun à une grivoiserie décalée. Ajoutez à ça quelques étapes exotiques dans des resto-routes… pittoresques, et vous obtenez une bande de collégiens ivres de liberté, la veille d’une colonie de vacances. Sauf que nous sommes à la fois gamins et moniteurs. Nous arrivons sur le site du jeu au milieu de la nuit, fatigués, excités, subissant des fous rires nerveux pour rien. Une pluie intermittente nous contraint à improviser rapidement un camping. On y verra plus clair demain. Allons dormir.
Devant la scène, en journée, le calme avant la tempête
Principe de réalité, l’attaque surprise – J-2
À peine le temps de faire connaissance avec les organisateurs, tout se met en marche. Sous un temps maussade, le chapiteau arrive et la livraison nous surprend au réveil. Pas d’organisateur placier pour nous confirmer notre implantation, nous devons nous fier à des consignes par téléphone et un marquage au sol pas évident. Heureusement nous nous installons au bon endroit, même si nous constaterons plus tard que nous avons mal exploité notre surface. Dans le même temps, il faut déballer le train de bagages, faire le tri, protéger ce qui doit l’être de la pluie, bref, tout arrive en même temps et c’est un peu l’effet entonnoir. Les automatismes de la veille souffrent : dans le groupe il n’y a pas de vraie hiérarchie, d’expérience de fonctionnement. Tout le monde attend les consignes du leader, qui sature un peu. Une fois le chapiteau assemblé, quatre chantiers sont définis : le chapiteau, incluant déco, régie spectacle, scène, bar, jeux. Le camp hors-jeu, pour stocker nos effets personnels et dormir. La réserve, en coulisses du chapiteau, pour stocker notre intendance, installer notre cuisine, nos stocks de nourriture. Et le pont-levis, qu’il faut apporter sur son emplacement et assembler. Évidemment, la réalité du terrain apporte son lot de surprises, d’imprévus, de difficultés. Tout ne se passe pas sur des roulettes.
Déjà, la projection 3D du chapiteau est à revoir. Le chapiteau n’est pas orienté comme nous l’avions compris par rapport à la rue. Et nous l’avons fait placer par le loueur trop en retrait de son emplacement idéal. Ainsi, presque toute la place dédiée au camp hors-jeu est prise par la réserve. Pas moyen de dépasser, nous sommes collés à la seule route carrossable du site… Il faut donc revoir la distribution des lieux. Mais chacun prend sur soi, fait montre de patience, de compréhension. La journée est longue et dure, les progrès lents mais l’ensemble prend forme, la bonne humeur revient. Surtout quand les fûts de bière sont livrés, et un peu de fraîcheur savourée pendant une pause méritée.
L’assemblage du pont-levis est un épisode crucial. En théorie, il s’assemble en une heure, deux heures maximum. Le mauvais temps a laissé la place à un soleil brûlant. Une équipe se forme pour cette tâche. Quelques imprécisions, recherches d’outillage, consignes contradictoires plus tard, les heures passent et le pont-levis reste en kit. L’équipe pont-levis voit, au loin, le chapiteau prendre forme, les fûts de bière et les pompes mises en service. Et entend les rires de l’équipe chapiteau, pendant qu’eux s’échinent à assembler leur propre structure avec difficultés, sans recevoir d’aide spontanée du reste de la troupe. Logiquement, ils ont l’impression de faire le sale boulot, de galérer au soleil pendant que l’autre équipe s’amuse et picole à l’ombre. Premier accrochage entre des membres de la troupe. Première manifestation de mauvaise humeur, et gros souci du leader sur le futur : finalement, la mayonnaise ne prend pas tant que ça… S’ajoutent quelques problèmes individuels, un égarement de trousseau de clés, des soucis personnels qui rattrapent certains, la fatigue, l’usure, le stress, le leader qui prend “moins de gants” pour passer les consignes… À la nuit tombée, l’ambiance n’est pas à la fête.
Yan : grosse journée, un peu décousue, le manque de planification du travail, tant à notre niveau qu’à celui de l’organisation globale du Kandorya, entraîne des heures de labeur parfois vaines, et un amoncellement de tâches à accomplir dont on ne voit pas le bout. Des sollicitations permanentes d’autres équipes, qui, encore moins préparées que nous, quémandent des outils, de la visserie, des coups de mains. Lorsqu’en plus il faut aller rechercher les mêmes outils à travers tout le camp, ou se payer des marches en plein soleil à travers la moitié du site à tout propos, les patiences s’usent. L’enthousiasme de la veille retombe un peu, parce qu’au final, on est toujours pas “en GN”, mais au turbin. La soirée est un peu un défouloir, où s’évacuent la frustration du quotidien qu’on n’arrive pas à quitter, la journée de boulot, et la fatigue. Tout le monde y va de son petit laïus grognon, et effectivement les nerfs sont mis à rude épreuve… Mais au final, le bilan n’est pas mauvais : un bon contact avec les techniciens pro sur site – merci encore à notre ami d’un week-end l’électricien, qui pour une pinte de bière nous tire un boitier électrique de plus – et avec les orgas relais du camp, qui nous ont vus partout, et généralement à filer des coups de main ou à mettre un peu d’ambiance. Ce sera payant par la suite, mais nous ne le savons pas encore…
Pendant la tournée promotionnelle
Sans alcool, la fête est plus molle
Le bilan de la journée est quand même très positif : toute l’infrastructure est en place, et bien en place. La journée du lendemain sera consacrée au réglage des détails, à quelques menus travaux de décoration et de personnalisation. Et il reste 24h avant l’ouverture du site au public, 36h avant le début du jeu. L’aspiration collective est à la détente. Premier dîner tous ensemble (sauf une et trois qui arriveront le lendemain). Les uns restent entre eux, sur la défensive. Les autres essaient d’engager la conversation, de faire connaissance. Un tour de table de présentation (comme aux alcooliques anonymes) permet de détendre un peu l’atmosphère. Le temps de boire quelques verres, on peut gentiment verbaliser les malaises de la journée, s’interroger sur les quelques inquiétudes qui demeurent : nous avons identifié un débit d’alcool de plus que prévu, et nous redoutons que cela ait un impact négatif sur notre propre business. L’alcool aidant, certains malaises plus profonds et plus sérieux ressurgissent de façon très conflictuelle. Des divergences apparaissent sur le fond : certains sont là pour s’amuser, pas pour travailler. Or, depuis notre arrivée, la notion de plaisir se fait rare. Il y a quelques vraies prises de tête, mais également des luttes de pouvoir, des enjeux d’autorité sous-jacents. Quelques propos assez violents sont échangés. Personne n’est vraiment rassuré en allant se coucher. D’autant plus qu’une partie du groupe se couchera très tard, après quelques excès…
Petite parenthèse et retour sur le tour de table de présentation mutuelle : c’est un moment important, car souvent, en GN, on ne se connaît qu’à travers un pseudo, un personnage, sans prendre le temps de percevoir qui sont les vraies personnes derrière les joueurs. Ce tour de table confirme, si besoin était, l’étonnante faculté du loisir GN (et d’une tournée de bière fraîche) à provoquer la mixité sociale. Aucun profil type ne peut en effet se dégager parmi les membres du groupe. Sans rentrer dans une biographie détaillée des uns et des autres, il est toutefois amusant de replacer tout ce petit monde dans des situations de la vie courante. Par exemple, un jour de manifestation, on trouvera certainement des membres du groupe du côté des contestataires, mais aussi du côté des flics chargés de contenir les émeutiers J.
Jamais trop de ballons pour attirer le client
Le charme commence à agir – J-1
Le lendemain matin, la tension est presque entièrement retombée. Le temps est beau. Le gros du boulot est fait. Chacun commence à prendre des initiatives et s’investit, sans pression, dans des tâches où il se révèle compétent tout en prenant du plaisir. Le leader s’assouplit, s’ouvre davantage aux solutions proposées par les autres, apprend à déléguer et à faire confiance. Le chapiteau n’est plus une structure, mais devient un lieu plaisant, agréable, notre nouvelle maison.
James : Au soir du mardi, notre groupe partant de Grenoble n’ayant pas pu participer au convoi au départ de la Savoie, se retrouve dans le nord-Isère chez l’un des compères pour centraliser le matériel et faire “bétaillère” commune en direction du site de jeu. Le départ est prévu tôt le lendemain afin d’être présent le plus rapidement possible auprès du reste de la troupe déjà sur site qui, selon les dires, s’activera toute la nuit durant pour monter le cabaret afin qu’il soit prêt pour la journée de pré-jeu et la soirée concert prévue. Au cours de la soirée les discussions vont bon train sur ce qui nous attend les jours prochains et l’excitation aidant (ou les enfants en très bas âge) font qu’au final la nuit sera courte, trop courte… Réveil à 5h pour un départ dans la foulée afin d’arriver au plus vite. Le trajet se fait sans encombre et c’est aux alentours de midi que nous arrivons enfin sur site. L’excitation initiale subit une douche écossaise lorsque l’on tente de faire connaissance avec la troupe qui, éparpillée, émerge tout doucement d’une soirée particulièrement éthylique. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, nous tentons tout de même de nous intégrer à la synergie du groupe au plus vite. Je fais le tour des personnes connues, me présente auprès des autres et apprend à cette occasion les différents déboires de la veille. Nous marchons sur des œufs.
Quelques difficultés subsistent : toujours à cause du placement excentré du chapiteau, deux tentes “annexes” apportées par les arrivants du mercredi posent problème. Si nous parvenons à caser les coulisses et la costumerie avec un accès direct sur la scène, la tente dédiée aux “massages” devra nécessairement avoir une entrée séparée, sans pouvoir communiquer avec l’espace principal. En soi, ce n’est pas fatal, mais c’est contrariant. Toutefois, la bonne humeur revenant, et le début de jeu approchant, chacun s’implique et trouve des solutions, quitte à faire des compromis. Les événements de la veille sont en cours de digestion : les trois derniers arrivants sont quelque peu surpris de se voir conseiller de ne pas poser de question à La Patronne, qui a eu une nuit difficile et cherche toujours ses clés. Un peu de tension subsiste, mais tout le monde prend sur soi.
James : S’affairant aux préparatifs, l’immersion opère et très rapidement le groupe se détend, le problème de clés est temporairement résolu, le réglage des tireuses à bière s’affine, la troupe hallucine collectivement sur les prouesses d’Alex avec une tronçonneuse miniature et quelque planches, sur le matériel de sono et la scène mise en place par Boris et Gâchette, sur les costumes des “filles”, sur les tables de poker et leurs decks officiels “made in Casino”…
Blandine : C’est le mercredi que j’arrive un peu comme une fleur. Après un départ auquel l’Apocalypse de Saint Jean n’a pas grand-chose à envier, j’arrive au pays des Merveilles. Il y a un chapiteau, tout est installé et c’est diablement beau, il ne me reste plus qu’à faire pousser le camion pour installer ma tente. Ça se fait vite et avec un minimum de grognements. Je regrette un peu de n’avoir pas pu être là avant (évidement à ce moment-là je ne sais pas qu’il y a eu des tensions) et une fois installée et costumée je pars inspecter « ma » cuisine. Inutile de dire que je culpabilise plein pot de ne pas être arrivée plus tôt pour filer un coup de main à l’installation.
Gâchette : Kandorya, tant décrié sur d’autres points, ne s’est pas moqué de nous pour la distribution électrique / énergie. Ce petit mec qui m’a collé des boitiers triphasés dans tout le chapiteau, c’était un peu le rêve de toute team FX qui se respecte…
Chacun prend ses marques, apprend à cohabiter avec l’autre, découvre la troupe sous un nouveau jour, très positif. L’installation électrique prend forme, on commence à diffuser de la musique et à faire tourner les jeux de lumière. Des solutions extrêmement efficaces, créatives, avec du système D et des compétences personnelles, sont trouvées, permettant à chacun de briller à son tour. Chacun, en effet, s’investit spontanément au-delà du cahier des charges convenu. Un bar extérieur, pas du tout prévu, est fabriqué à partir de chutes de bois et de branches ramassées en forêt. Comme chaque nouveau problème se présente, quelqu’un trouve immédiatement la bonne solution ou la bonne ressource pour faire face. La bonne humeur règne enfin. Bien que l’établissement soit encore fermé au public, nous sommes ébahis par ce que nous avons mis en place. Le résultat dépasse nos attentes. Avec le respect mutuel acquis pendant cette journée, les affinités se révèlent enfin à l’intérieur du groupe. Les personnalités attachantes comme les caractères forts, se dévoilent. Si notre établissement est déjà une réussite en soi, l’apport particulier de chacun suscite un émerveillement égal. Comme les joueurs commencent à s’installer, la ville prend forme. Nous ne sommes plus isolés sur notre bordure de route. Nous voyons passer toujours plus de monde, les premiers costumes commencent à apparaître. Nous disposons de plus de temps pour commencer à penser aux spectacles, au fonctionnement de l’établissement, à la gestion des flux de personnes, à l’entretien général, la répartition des tâches. L’excitation devient palpable, toujours plus mêlée de trac.
Les danseuses rabattent les clients
Pour faire nos premières armes en tant que cabaretiers, nous avons droit à un tour de chauffe. Le jeu commence officiellement dans la journée du jeudi. Mais le mercredi soir, un concert est proposé aux joueurs arrivés tôt, et le marché médiéval des artisans est également accessible le mercredi dès la fin de l’après-midi. Nous remarquons, avec un flux de clients encore réduit, quelques améliorations à apporter, notamment sur la gestion de l’entrée et de la vente de cartes. Nous sommes encore timides avec la clientèle, dont les attentes sont difficiles à cerner. Ils ne sont pas complètement en jeu, mais souvent déjà en costume. C’est surtout le regard des autres sur nous qui nous interroge. Nous diffusons largement le petit flyer qui explique que nous ne sommes ni professionnels, ni PNJs, mais seulement des “exposants-joueurs” avec une envie de proposer autre chose. Le dialogue se crée avec les autres joueurs. L’accueil est très positif, même si la fréquentation est encore timide. Chacun, doucement, trouve sa place dans le groupe, sa fonction dans la troupe, son métier dans l’établissement. Les premiers automatismes trouvés pendant le convoi réapparaissent, et sont rapidement contagieux. Une véritable communauté de vie émerge. Comme un signe de bonne fortune, le trousseau de clés perdu, déclencheur de tant de conflits, est retrouvé et ramené à son propriétaire.
Blandine : Mais… mais… pourquoi donc tout le monde parle avec un accent romano ? O_o Le Paradis Carmin n’est pas le pays des pourquoi, ici on accepte les choses telles qu’elles sont, pourvu que lesdites choses soient rigolotes et qu’on s’amuse. Je me mets au diapason et commence mon appropriation des lieux. Je traîne un peu au bar, on m’apprend à me servir de la tireuse à bière, on installe les derniers costumes dans les coulisses, on papote avec les premiers clients, avec les amis qui passent, on semble prêt à avoir du succès. On commence aussi à avoir des idées déviantes… enfin plus déviantes que d’habitude. J’aurai mon seul vrai regret du week-end ce soir là : avoir fait la tournée des camps en sandalettes. Parce que quand même, les chardons ça fait vachement mal ! Et le soir me voilà aux fourneaux, nageant dans le bonheur, avec pour fond sonore le concert qui a lieu un peu plus loin.
James : Véritablement la révélation pour moi, le déclic initial, fut lorsque la troupe fit son défilé de camps en camps le mercredi après midi ; les filles chevauchant l’ours dans des poses suggestives, emmenées par un homme orchestre magistral et chantant avec un accent slave à couper au couteau ! Là oui, j’ai su que ça ne pouvait que bien se passer !
Yan : c’est la première journée où l’on entre dans le rôle qu’on c’est construit de bric et de broc, un peu tous ensemble, et le jeu aidant, la magie du GN fait son effet. Ça tourne enfin, l’identité de groupe se crée, la sauce prend bien. On est, un peu avant tout le monde, dans le rôle. Ça joue, action !
Alors que le jeu ne commence vraiment que demain…
Quelques vidéos
(Désolés pour la qualité, si les techos de GNdemerde nous lisent, on pense à vous les gars, ne nous oubliez pas !)
Début spectacle vendredi: http://youtu.be/EO-4x9A9Wfs
Extrait trop court : http://youtu.be/HHVtmOa99dg
Une cliente monte sur scène : http://youtu.be/llC1c8n8Gq0
Crédit Photos :
Sandrine Schwoerher
Valérie Dagrain aka Wanda – CC by sa 2011
Et le personnel du Paradis Carmin
Par ailleurs, le personnel du Paradis Carmin fait savoir qu’il a été tellement bien occupé pendant tout le GN Kandorya 2011, qu’il a pris peu de photos de son établissement ou de son personnel. Si vous possédez de telles photos, merci de vous signaler au blog qui transmettra. (contact@electro-gn.com)
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Bross
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