Cet article fait suite à la table ronde “GN en temps de pandémie” qui a eu lieu dimanche 25 juillet lors du Week-End eXpérience, à Orléans.
La pandémie nous a tou·te·s empêché·e·s de pratiquer le GN de façon classique, c’est-à-dire en se retrouvant à plusieurs dans un même lieu pour jouer ensemble. À la place, comme le décrivait Thomas Munier dans son article sur le sujet, les GNistes ont testé de nouvelles manières de jouer à distance, en utilisant massivement les outils numériques, aidant à développer un peu plus un type de GN qui avait déjà un peu émergé avant les confinements, mais qui restait confidentiel. Alors, c’est quoi aujourd’hui le jeu de rôles grandeur nature à distance ? Est-ce qu’on aura intérêt à continuer d’en faire une fois la pandémie passée ?
Typologie et caractéristiques des GN à distance
On peut classer les GN à distance dans deux catégories principales :
- les GN adaptés de GN physiques (ou calqués sur le modèle physique)
- les GN créés spécifiquement pour le format à distance
Nous ne reparlerons pas des GN qui ont été adaptés de GN physiques, l’article “Le GN virtuel, un assaut contre la frontière” s’en charge suffisamment bien pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir.
Ce qui nous intéresse le plus ici, ce sont les GN créés spécifiquement pour le format à distance, ou qui ont intégré la contrainte suffisamment tôt dans leur phase de design pour que la ressemblance avec le GN traditionnel soit moins évidente.
Parmi ces GN, on peut citer “Animus” (2020) de la Chaos League, un GN international traitant de personnes qui se découvrent et qui se jouait sur un serveur Discord dédié avec des phases de visioconférence et de chat textuel ; “Comme le Houx” (2015) de Hélène Henry, un GN type “tranche de vie” qui met en scène une histoire d’amitié et se joue par téléphone, sans organisateur ; “Je ne dirai plus jamais Je t’aime” (2018) de Lille Clairence, un GN pervasif sur plusieurs jours qui aborde l’histoire d’une relation passionnelle naissante et qui se joue sur la plateforme Minds ; “La Plume et la Baïonnette” (2020) de Agnès Thanasack, un GN épistolaire durant la première guerre mondiale entre une personne qui part au front et une autre restée à l’arrière ; ou encore “Opération Thunderclouds” (2021) de Joséphine Verneuil, qui se déroule lors d’un débriefing de super agents secrets, joué en visioconférence. [1]
Comme on peut le voir parmi ces exemples, qu’ils aient été créés ou joués avant ou pendant les confinements, on est loin de l’unicité de format où les outils de visio/télé-conférence ont une place prépondérante, comme ça peut être le cas pour les GN adaptés du modèle physique.
Le format à distance permet effectivement aussi bien de jouer en mode synchrone que de s’appuyer sur le temps long, utilisant autant les dernières inventions technologiques que des solutions low-tech accessibles à tou·te·s.
La contrainte de l’éloignement physique a ainsi pu faire émerger de nouvelles façons d’entrevoir le GN à distance.
Est-ce vraiment encore du GN ?
En s’appuyant sur la définition de la FédéGN : “Rencontre entre des personnes, qui à travers le jeu de personnages, interagissent physiquement, dans un monde fictif.” ou sur celle de J. Falk et G. Davenport : “Un jeu de rôle grandeur nature est une forme de jeu théâtral et narratif qui se déroule dans un environnement physique. C’est un système de narration dans lequel les joueurs assument des rôles de personnages qu’ils incarnent en personne, à travers des actions et interactions. L’univers de jeu est un environnement accepté, situé à la fois dans l’espace et le temps, et régi par un ensemble de règles — dont certaines doivent être formelles et quantifiables.” [2] , on pourrait, au premier abord, avoir du mal à faire rentrer le type de jeu décrit plus haut dans la catégorie GN, la dimension physique étant, selon ces définitions, indispensable à la catégorisation d’un jeu en GN, et être plutôt tenté de le classer dans la catégorie “jeu de rôles à distance”.
Ce type de jeu n’est pourtant pas du jeu de rôles (sur table, en visio, ou par forum) puisque ce dernier nécessite quasi forcément des phases descriptives de l’action (par les joueur·euse·s comme par le·a MJ), absentes du GN (ou fortement limitées), et absentes également de ce type de jeu. On peut aussi remarquer que l’action ne nécessite personne d’autre que les joueur·euse·s et que le rôle de l’organisateur·ice est aussi réduit que lors d’un GN. Ces jeux, mis à part la question de la physicalité, semblent donc bien répondre au reste de la définition du GN.
Mais le GN à distance n’implique-t-il réellement pas de physicalité, ou en donne-t-on généralement une définition trop restrictive ?
Dans “La plume et la Baïonnette”, par exemple, ce sont bien les joueur·euse·s, qui, par leur corps, donnent vie au personnage et écrivent les lettres, les postent et les reçoivent. L’incarnation est donc bien présente, et l’interaction physique simplement différente. La physicalité est donc ici à comprendre comme l’incarnation physique de son personnage, à qui l’on prête son corps le temps du GN, quelle que soit l’activité effectuée.
Le fait que nos personnages utilisent des moyens de communication à distance est à la fois diégétique (c’est un élément de l’univers du jeu) et permet ainsi l’incarnation à distance. Le niveau d’abstraction de ce type de GN peut alors s’avérer plus important, mais les GN minimalistes (freeform, jeepform, etc.) ont déjà prouvé que l’illusion à 360° n’était pas un élément essentiel de ce médium.
Et si l’on pousse le curseur encore un peu plus loin, on peut imaginer des expériences pour un·e joueur·euse seul·e, sans aucune interaction, qui répondraient également à la définition du GN, comme, par exemple, “The Dead Drop” par Robert Davies (2015) où le·a joueur·euse incarne un·e espion·ne repéré·e par l’ennemi qui doit transmettre un message dans une boîte morte.
Qu’est-ce qui fait un bon GN à distance ?
Le GN à distance est une forme relativement récente, qui, comme on l’a vu, s’est fortement démocratisée de par les contraintes imposées par la nécessité de limiter la propagation d’un virus à l’échelle mondiale. On a donc encore peu de recul sur cette nouvelle forme, mais déjà suffisamment pour en tirer quelques conclusions.
La première, c’est que ce type de GN n’est clairement pas destiné à tous les types de participant·e·s. Des joueur·euse·s ont pu être désorienté·e·s par l’absence de repères connus. Ce type de GN, demandant aux participant·e·s de prendre en compte de nouvelles façons de s’exprimer, peut s’avérer plus compliqué à appréhender qu’un GN plus “classique”.
La seconde, c’est que ce sont justement les GN qui ont su tirer parti des contraintes inhérentes aux moyens de communication utilisés qui ressortent avec les meilleures impressions de la part de leurs joueur·euse·s.
Si l’on prend l’exemple du jeu en visioconférence, un des problèmes récurrents est la mauvaise qualité de la connexion, les problèmes de réseau ou de matériel audio/vidéo. Un jeu correctement conçu devra tirer partie de ces événements au risque de diminuer l’expérience des participant·e·s s’ils ne sont pas pris en compte.
De la même manière, l’empathie est beaucoup moins facile à obtenir par écran interposé. Si c’est un thème important de votre jeu, vous allez devoir redoubler d’efforts pour surmonter l’obstacle, au risque de trahir l’intention de votre jeu dans le cas contraire, mais, plus probablement, le format visioconférence n’est pas le bon format pour votre jeu.
Pour la question de l’incarnation, il est également pertinent de prévoir des ateliers qui favoriseront la mise en condition pour le jeu, d’autant plus si cette préparation doit se répéter fréquemment. À distance, on joue souvent depuis chez soi : on a donc sa vie à gérer en plus de celle de son personnage, ce qui représente un frein supplémentaire. Proposer à ses joueur·euse·s un rituel ou une routine qu’ils peuvent effectuer seul·e·s et qui les aide à rentrer à nouveau dans la peau de leur personnage est une étape à ne pas négliger.
Enfin, il faut garder en tête que les contraintes imposées par le jeu à distance obligent le design à répondre à la majorité des questions normalement gérées par les organisateur·ice·s sur place, la partie logistique étant, dans ce cas, fortement déléguée aux participant·e·s.
Il faudra donc, comme pour tout autre GN, apporter un soin particulier au design de votre jeu pour servir votre propos, mais aussi spécifiquement s’assurer que l’expérience de jeu proposée est compatible avec les contraintes. Plus encore, ces dernières doivent être correctement prises en compte et exploitées au mieux afin de servir vos intentions de jeu et mettre un maximum de chances de votre côté pour en faire une expérience réussie.
Un nouveau terrain de jeu pour le GN expérimental ?
“Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense !” Charles Baudelaire. [3]
On a ici affaire à une nouvelle forme de GN qui est née de conditions imposées mais qui a su profiter de la frustration d’une partie d’entre nous pour en faire une énergie créatrice. De la même manière que les confinements ont favorisé l’émergence du télétravail hors confinement pour une bonne partie des salarié·e·s, on peut penser que le GN à distance poursuivra sa route hors des contraintes de la pandémie.
C’est encore un terrain de jeu assez peu défriché qui a le bon goût d’être potentiellement plus accessible : plus besoin de se réunir physiquement, des frais bien inférieurs (pas de lieu à louer, pas de repas), et des outils pour lesquels des techniques d’accessibilité pour les différents handicaps ont été créées.
Que les GN physiques soient rassurés cependant, ce n’est pas demain la veille que les GN à distance prendront leur place, ne serait-ce que pour la dimension sociale du GN, notamment les temps informels de discussions / bières / barbecue d’après jeu, qui reste une part importante de ce loisir.
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[1] Cette liste ne se veut pas exhaustive et est le reflet des jeux pris en exemple durant la table ronde. On peut également citer des jeux qui exploitent la distance différemment encore, comme “Hackerspace 2501” de Loïs Vanhée qui joue également sur la dimension physique, bien qu’à distance ; ou “The Hive” de Vanessa Changues, qui fait exister son univers à travers une visioconférence permanente durant 24H.
[2] Jennica Falk et Glorianna Davenport, Live Role-Playing Games : Implications for Pervasive Gaming, vol. 3166, Berlin, Heidelberg, Lecture Notes in Computer Science, 2004 (ISBN 978-3-540-28643-1)
[3] Lettre à Armand Fraisse datant du 18-19 février 1860
Merci aux participant·e·s de cette table ronde sans qui cet article n’existerait pas, ainsi qu’à Lucie et Loïs pour leurs relectures et commentaires qui ont contribué à l’améliorer.
Rémi San
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27 octobre 2021 at 23 h 07 min
Je vais tenter des formats soirée-enquête sur un monde 2d immersif façon rétrogaming intégrant visio et avatars. J’ai jamais réussi à jouer en Opensim ou Secondlife, alors ce nouveau format semble vraiment intéressant. Enfin me semble-t-il. Venez en discuter sur place avec les autres membres de la communauté. J’ai envie de commencer par un huis-clos sur une station spatiale pour une quinzaine de joueurs.euses que j’ai déjà joué plusieurs fois irl. Si ça matche sur ce mode là, je tenterais de rejouer le GN FABLES sur lequel on été arrivé plusieurs fois à 50 personnages en jeu au début des années 2000.